vendredi 26 octobre 2007




Bienvenue dans le monde de


Lucien COUTAUD









Catalogue "Lucien Coutaud et la peinture"
Monographie publiée par le
Musée des Beaux-Arts de Nîmes
Avec le concours de l’Association Lucien Coutaud

L’ouvrage fait également le point sur le travail de
Lucien Coutaud pour le théâtre et les arts décoratifs
214 pages, format 34 x 24 cm, 630 illustrations.

Prix unitaire 25.00 €uros

Forfait port France* (colissimo) 8,00 €uros

Forfait port Etranger 15.00 €uros


Association Lucien Coutaud

75014 PARIS - Tél. 06 16 46 40 37 - mail : alcoutaud@free.fr






Libellés :

dimanche 21 octobre 2007

Rose ADLER - Lucien COUTAUD

L’entrée dans le champ des Arts décoratifs












Née à Paris en septembre 1892, Rose Adler fut à partir de 1917 une élève assidue de l’Ecole d’Art décoratif Villa Malesherbes puis rue Beethoven avant de prendre des leçons particulières en 1923 chez le relieur Noulhac. Cette année 1923, le couturier et mécène Jacques Doucet accompagné par Pierre Legrain la rencontre à l’exposition de la Société des Artistes Décorateurs. Il lui commande trois reliures et l’invite à visiter sa bibliothèque. Les oeuvres de Legrain lui font découvrir la voie dans laquelle elle doit s’engager. Peu après, Jacques Doucet l’engage comme décoratrice, lui confiant tout d’abord des travaux de reliures pour des ouvrages de Reverdy, Aragon, Limbour, Paul Morand, Valéry, Suarès, Apollinaire... François Chapon dans son ouvrage consacré à «Jacques Doucet et l’art du mécénat» (Perrin éditeur, 1996) a parfaitement décrit l’originalité, la modernité des travaux de Rose Adler, ses choix de matériaux rares ou nouveaux, la recherche d’équivalences plastiques, sa volonté d’atteindre la perfection. Ainsi cette pulvérulence d’or sur le veau orangé habillant «La Poussière de Soleils» de Raymond Roussel ou la spirale enroulée sur «Le Serpent» de Paul Valéry. Dès les premiers mois de 1927, Jacques Doucet l’encourage à d’autres travaux que la reliure et lui commande des cadres pour des oeuvres de Picasso, Derain, Marie Laurencin, puis des boites. Fin 1928, il l’incite à créer des pièces de mobilier.

Avant que Rose Adler, qui était une jeune femme blonde, très belle, tour à tour gaie et mélancolique selon les témoignages que nous avons, rencontre Lucien Coutaud, elle rencontra Denise Bernollin, une lointaine cousine d’André Fraigneau, qui deviendra fin 1928 ou début 1929 une amie puis la compagne de Lucien Coutaud. Nous ignorons les circonstances de la première rencontre de Denise Bernollin et Rose Adler. Nous pouvons penser que cela s’est passé autour de Jacques Doucet et nous pouvons la dater des premiers mois de 1927. Denise Bernollin, née le 7 février 1905, brune, très belle elle-aussi, alors dans la splendeur de ses vingt-deux printemps, s'adonnait au dessin et faisait de la gravure. De milieu bourgeois, elle vivait avec sa famille, à Paris, rue de l’Assomption, dans le XVIème arrondissement. A t-elle été mise en contact directement avec Doucet par une relation de sa famille ou indirectement par l’intermédiaire de Marie Dormoy, la secrétaire de Doucet ? Cette seconde hypothèse nous paraît la plus plausible. En août 1927, nous savons qu’elle venait de réaliser des illustrations, six dessins et six gravures reproduisant ces dessins, pour le manuscrit du «Bal du comte d’Orgel» de Raymond Radiguet. Dans une lettre à Jacques Doucet, datée du 3 août, elle lui laisse fixer le prix de ces illustrations, ne sachant pas quoi lui demander. «J’en ai parlé avec Mlle Rose Adler, mais comme moi-même elle les ignore». Ces illustrations se trouvent à présent au Fonds Doucet à la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet à Paris conservées dans une simple chemise et tout nous permet d’affirmer qu’elles n’ont jamais rejoint le manuscrit ou le livre auquel elles étaient destinées. Une lettre à mademoiselle Marie Dormoy, datée du 16 août 1927, confirme sa satisfaction de ce premier travail pour Jacques Doucet. «Je suis depuis une semaine à Belle-Ile et ce pays est si joli que je remets toujours au lendemain le plaisir de vous écrire pour vous dire que tout s’est bien passé au sujet du bal du comte d’Orgel. De plus Monsieur Doucet a eu une idée délicieuse de me faire faire deux illustrations par mois pendant un an. Je suis très heureuse». Le 5 septembre, elle écrivait de Belle-Ile à Jacques Doucet. «J’aimerais beaucoup faire les deux illustrations du mois de septembre pour «Suzanne et le Pacifique» de Giraudoux». En fait pour ce livre, qui sera relié par Rose Adler, Jacques Doucet lui commande six dessins et six eaux-fortes, ces dernières au format du livre. On sait que les six gravures seront tirées à dix exemplaires et l’on a connaissance d’un autre exemplaire de ce livre relié par Rose Adler en 1930. Dans l’exemplaire de Jacques Doucet les gravures sont réparties dans le texte. L’une d’elles, à la page 114, nous montre Suzanne devenue une nouvelle Eve, nue, assise sur son île, un couteau ensanglanté à la main, avec à ses côtés un serpent dont elle venait de trancher la tête... Les six dessins originaux accompagnés d’une aquarelle inspirée par le livre seront conservés à part. En 1927, une lettre de Pierre d’Arcangues à Denise Bernollin laisse supposer un travail d’illustrations sur des poèmes de ce dernier datés du mois de juillet 27 : «Quatre poèmes syncopés sur des airs de jazz». Mais était-ce pour Doucet ? «Mademoiselle, Voici les petits poèmes. J’espère que l’on pourra les insérer dans un des ouvrages en préparation, avec 4 illustrations de vous. Pensez-y. Il est à peu près certain que je pourrai vous faire la petite exposition dont je vous ai parlée. [...]». «Le rythme de l’orchestre, les coups monotones de la caisse, ce sont les battements du désir en toi, qui te pénètre comme la nuit trouée de lumières»... Cela commence ainsi. En 1928, Denise Bernollin travaille à des illustrations pour «La maison de Claudine» de Colette à la demande de la Société des cent femmes bibliophiles amies du livre et continue à réaliser des illustrations pour Jacques Doucet. Sa correspondance avec Doucet nous laisse supposer que cette année là elle a tout d’abord illustré pour ce dernier «Isabelle» d’André Gide et «Eglantine» de Jean Giraudoux. Elle lui a par la suite proposé d’illustrer «Bernard Quesnay» d’André Maurois. «Je vous apporterai les 2 Isabelles et les Eglantines qui sont également terminées. J’ai pensé à illustrer Bernard Quesnay d’André Maurois pour le troisième suivant. Cela vous conviendrait-il ?». «Eglantine» figure bien au Fonds Doucet, comme «Suzanne et le Pacifique», mais dans un simple emboitage non signé, avec six gravures réparties dans le texte. «Isabelle» figure également au Fonds Doucet, relié par René Kieffer (sur les indications de Pierre Legrain), avec deux dessins originaux de Denise Bernollin au crayon noir légèrement rehaussés au crayon de couleur en double frontispice et avec les deux gravures correspondantes placées dans le texte. L’une des deux illustrations représente dans un intérieur, près d’une porte, une jeune femme hagarde, cherchant à fuir, un chandelier aux bougies allumées tenu à la main, face à un personnage masculin. On sait qu’elle a également illustré pour Doucet, cette année 1928, «Jérôme, 60° Latitude Nord» de Maurice Bedel, qui avait obtenu le Prix Goncourt 1927. Une dédicace d’un exemplaire de ce livre à Denise Bernollin nous le laissait supposer : «A Denise Bernollin qui a su voir Uni et Jérôme avec les yeux mêmes de l’auteur» et cela est confirmé par le Journal de Rose Adler. «La petite Denise Bernollin avait été montrer les illustrations de Jérôme à Bedel. Elle s’était attardée. Pour être exacte au rendez-vous chez le Magicien elle prit un taxi mais s’apperçut qu’elle n’avait que quelques francs. Conduisez-moi pour 4 fr dit-elle au chauffeur et elle courrut de l’Etoile au 46 de l’avenue du Bois». Cet ouvrage de Maurice Bedel, sur le thème des aventures amoureuses d’un français en Norvège, figure au Fonds Doucet, relié par Rose Adler, avec six dessins au crayon de Denise Bernollin en début d’ouvrage et les six gravures correspondantes réparties dans le texte. Nous savons qu’elle a aussi illustré de six gravures «Molinoff Indre et Loire» du même Maurice Bedel, une satire amusante des milieux royalistes, un milieu qu’elle connaissait bien, vraisemblablement cette année 1928, l’année de sa parution. Nous avons connaissance d’une maquette de reliure de Rose Adler pour ce livre et des six gravures tirées à douze exemplaires. De même nous avons connaissance d’une maquette de reliure un peu similaire de Rose Adler pour «Agnès» de Gabriel d’Aubarède publié également en 1928 avec trois gravures de Denise Bernollin tirées à douze exemplaires. Nous sommes toujours dans la littérature romanesque et curieusement les prénoms féminins prédominent. Un exemplaire de «Molinoff Indre et Loire» imprimé spécialement pour Jacques Doucet figure bien dans la bibliothèque de ce dernier, mais non relié, ni enrichi d’illustrations, ce qui laisse supposer un projet abandonné en 1929 du fait des circonstances. En 1928 encore, nous savons qu’elle a également réalisé un travail d’illustration (peut-être la suite des gravures pour «Agnès») pour une importante bibliophile belge, madame Louis Solvay, qui était une amie de Jacques Doucet. C’est Doucet lui même qui aurait servi d’intermédiaire. Une lettre de Jacques Doucet à Denise Bernollin datée du 31 décembre 1928 en témoigne. Jacques Doucet passait alors l’hiver sur la Côte d’Azur au Golf Hôtel de Beauvallon-sur-Mer. «Merci ma petite et jolie Denise de votre gentil mot et des souhaits. Ma femme et moi y avons été forts sensibles. [...] Je viens d’écrire à Rose qui veut bien me servir de secrétaire pour qu’elle s’entende avec mon secrétaire Perrot et régler avec vous nos petits comptes, ceux du mois et je crois une série faite pour madame Solvay. Enfin elle est au courant mieux que moi et fera ce qu’il faut.» La suite de cette lettre n’est pas inintéressante. «Je vous souhaite ma chère enfant une année encore meilleure, votre jeune talent prend de la forme, il faut être jolie et original, trouver une formule à soi [...]. Avec les auteurs jeunes et beaux de maintenant, il faut suivre leur fantaisie mais en y joignant la votre qui doit bien s’adapter. C’est à mon avis la grande erreur des illustrateurs de maintenant. Ils font du eux qui souvent n’est pas du tout ce qu’il faudrait pour le livre qu’ils illustrent, alors inutile de les mettre ensemble. Pour qu’une femme et un homme veulent faire un enfant, il faut qu’ils cherchent pendant l’instant délicieux à ne plus faire qu’un. Ce qui viendra d’eux doit avoir toutes les qualités de chacun mais pas les défauts de l’un ou il deviendra un petit monstre. Faites de beaux enfants petite Denise vous ressemblants [...]. Bonne année, bonne santé, votre vieil ami. Jacques Doucet». Début 1929, ayant du quitter son domicile, suite à des difficultés familiales, Jacques Doucet lui donne un conseil du meilleur bon sens dans une lettre datée du 19 janvier : «Merci ma petite amie de votre gentille lettre. Je suis heureux des envois que vous m’annoncez. Comme dans la vie il faut souvent parler intérêt, entendez-vous avec Rose qui veut bien me servir si aimablement de correspondant. Elle fera le nécessaire. Mais ma pauvre amie, j’espère que votre famille ayant [?] votre domicile, vous ne serez pas obligé de coucher sous les ponts, avec la température présente ce serait désastreux. Mariez-vous, vous aurez un domicile certain. Je ne dois vous donner comme vieillard que de bons conseils. Mais enfin. [...]». Il lui décrit également son séjour à Beauvallon. «Ici il fait froid pour un pays chaud, mais l’endroit est si joli avec le lac en bas du jardin de l’hôtel [...]. Les gens, ici beaucoup d’étrangers, sont des gens tranquilles. Les promenades de mer sont délicieuses et toutes différentes de Hyères à Cannes. Peut-être un peu monotone pour la jeunesse mais délicieuses pour les vieilles gens. Le matin golf avant le déjeuner, puis 3 heures de promenade presque toutes différentes. L’on rentre. Les journaux, les lettres reçues, répondre comme je le fais avec vous. L’on s’habille, dîner, beaucoup de vieilles dames mais aimables. Petites parties de cartes et l’on remonte se coucher. Très bel hôtel, très bonne nourriture et voilà comment se passe la vie qui pour moi est maintenant redevenue normale. Je rentrerai dans les premiers jours de février. Le meilleur de votre vieil ami, bon courage. Jacques Doucet». Le 17 février 1929, Jacques Doucet lui écrivait encore. «Ma gentille amie, Merci de votre aimable lettre. Je suis dans l’attente de me mettre en route pour le retour. J’en ai assez du midi. Je crois bien qu’il me restera qu’en rêve. [...] J’ai su par Rose vos succès d’exposition [...]. Allez-vous faire de nouvelles belles gravures. Nous verrons cela au retour. J’ai des nouvelles par Rose pour nos travaux. Je suis bien curieux de voir tout ce que l’on a fait de nouveau à St James. [...]. Ma femme vous envoit toutes ses amitiés. J’y joins les miennes plus affectueuses. Votre ami. Jacques Doucet». Les liens d’amitié de Denise Bernollin avec Rose Adler se ressèrent également au début de 1929. Le 21 février 1929, Rose Adler écrivait à Denise Bernollin, Société des Etudiantes, 214 Bd Raspail à Paris, cette lettre étonnante, à l’encre violette sur un délicat papier violacé : «Chérie. Vous trouverez à choisir dans mon petit salon 3 petits Cournault. Si vous voulez bien venir choisir le vôtre. Mettez-vous en rapport avec lui mais il demeure rue Gabriel - et non avenue. Je pars tout à l’heure - le coeur douloureux. Bien votre. Rose. Ecrivez moi si vous avez besoin de la moindre des choses. Vous savez qu’il y a toujours 300 f en banque pour Colombine». On sait qu’Etienne Cournault était un artiste réalisant des peintures sur miroir très appréciées par Jacques Doucet et qu’il deviendra un ami intime de Rose Adler, de même que Pierre Chareau. En avril 1929, Rose Adler réalise encore pour Jacques Doucet un «montage cartonnage» destiné à contenir des originaux de Denise Bernollin. Le 1er septembre 1929, elle passe une longue journée en voiture avec Jacques Doucet et madame Doucet. «Orléans, Cropet pour chercher la petite Denise, l’emmener déjeuner avec nous à Blois. Chambord puis Chartres où nous étions arrivé trop tard pour entrer dans la cathédrale» se remémorera-t-elle dans son journal un an après jour pour jour. Le 31 octobre 1929, Jacques Doucet décédait à Neuilly. La Presse évoqua la disparition du magicien. Triste coïncidence, cette même année Denise Bernollin perdait également son père. Toujours est-il que l’on ne peut qu’être étonné de voir, les deux dernières années de sa vie, Jacques Doucet suivre de très près et encourager Denise Bernollin, une jeune artiste au talent jamais reconnu, à la carrière artistique plus brève encore que celle de Camille Claudel et qui abandonnera toute activité créatrice vers la fin de 1936, s’effaçant comme elle nous le dira derrière la trop forte personnalité, le talent de Lucien Coutaud. Ses derniers travaux connus auront été un livre pour enfants titré «Maman poule et papa coq», un recueil de gravures intitulé «Jeux», inspiré par les jeux d’enfants, préfacé par Jean Blanzat et publié en 1931, et un alphabet pour enfant. On sait qu’en novembre 1935, Rose Adler proposa à Madame Solvay de lui montrer une petite table de chambre d’enfant qu’elle réalisait avec un alphabet sous verre qui est une lithographie de Denise Bernollin. On connaît également d’elle une gravure sur Chine de décembre 1936 numérotée 1/12 et représentant un chat allongé sur un coussin, ayant servie de carte de voeux pour 1937. Cette gravure se trouve à la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet avec la mention «Bonne année de Denise Bernollin» accompagnée d’une carte de visite de Rose Adler portant dessiné au crayon un globe terrestre et ce texte également au crayon : «Pole Léautaud Dieu de la planète chat - chien déc 36 Rose Adler avec tous ses voeux »... Après Modigliani, Picasso avec «Les Demoiselles d’Avignon», le Douanier Rousseau avec «La Charmeuse de serpent», Matisse, l’art nègre et le mobilier de Legrain, Marcel Coard et d’autres grands de l’Art Déco, finir pour Jacques Doucet en beauté avec Denise Bernollin... On peut s’interroger. Mais peut-être faut-il y voir tout simplement sa foi inébranlable en la jeunesse, en la nécessité, comme il le disait, «d’un art de notre temps». Les liens avec Rose Adler ne s’estomperont pas à la mort de Doucet et on verra notamment Rose Adler faire connaître le travail de Denise Bernollin à Madame Jeanne Dubost, une importante collectionneuse parisienne qui recevait dans son hôtel particulier de l’avenue d’Iéna, à d’autres collectionneurs encore.

Les relations de Denise Bernollin avec Rose Adler (elles étaient importantes à préciser) expliquent les relations de Rose Adler avec Lucien Coutaud, l’intérêt de Coutaud pour le domaine des Arts décoratifs.

Dès 1929, Rose Adler permettait à Lucien Coutaud de rencontrer Francis Picabia, le collectionneur Henri-Pierre Roché (l’ami de Marcel Duchamp, c’est lui qui avait fait connaître Picasso à Jacques Doucet), le marchand Léonce Rosenberg, et Bing, un autre marchand américain, installé au 20 bis rue La Boétie à Paris. Ce dernier achète à Coutaud cette année 1929 plusieurs toiles, dont «Rhénanie» de 1928. La première rencontre de Lucien Coutaud avec Henri-Pierre Roché date du 7 juin 1929. Rose Adler se rend avec Henri-Pierre Roché chez Lucien Coutaud qui logeait alors à l’Hôtel Mistral, 24 rue Cels. On en retrouve le témoignage dans le journal de cette dernière :

«Roché est venu me prendre pour déjeuner au restaurant chinois rue des Carmes et aller ensuite chez le petit peintre Coutaud. [...] Chez Coutaud petit hôtel presque borgne. Coutaud a des gestes un peu raide et [on peut voir la] poupée de ses personnages au mur en guise de tableau - un carton avec de petits soldats de bois - désuets - Les personnages de Coutaud - aiment - caressent - naïvement - dans une ambiance de conte de fées. Roché et moi apportons quelques billets pour que la magie continue - pour que le rêve ne s’achève pas encore».

Le 10 juin 1929, Rose Adler vend trois gouaches de Coutaud à une marchande américaine qu’Henri-Pierre Roché voulait récemment lui présenter alors qu’elle était déjà en relations avec. On en retrouve comme précédemment l’information dans son journal : «Visite d’Alice Roullier des Roullier Galleries de New York. Elle a acheté trois gouaches de Coutaud».

Un des premiers travaux de Coutaud en collaboration avec Rose Adler sera, début 1930, dix illustrations à la gouache pour «le Livre de Monelle» de Marcel Schwob. Ce livre, il s’agit d’un exemplaire de l’édition originale dédicacé à Charles Friedlander, sera relié par Rose Adler pour madame Louis Solvay. Il fait actuellement partie du Fond Solvay à la Bibliothèque royale Albert 1er de Bruxelles. La reliure datée de 1931 est superbe comme toujours lorsqu’il s’agit de reliures de Rose Adler, et au fin bandeau de couleur argent entourant chaque illustration répondent les tranches palladium de l’ouvrage voulues par Rose Adler. La gouache réalisée pour le frontispice représente un portrait de Marcel Schwob avec trois femmes nues (trois des onze soeurs de Monelle ?) volant dans les airs. Parmi les autres illustrations on peut remarquer une femme nue et un soldat se tenant la main, une femme à bicyclette venue à la rencontre d’une autre femme, une femme nue couchée dans un paysage, la main de Barbe bleue (une main énorme avec allongée sur la paume une femme aussi nue que les autres), une femme-barque (un peu comme une figure de proue) évoquant la Loreley... Ces illustrations sont en accord avec la thématique de la fin de la période rhénane de l’artiste.

Le 6 octobre 1930, après avoir passé ses vacances d’été à Nîmes, Coutaud écrit à Rose Adler depuis Mailly le Camp dans l’Aube où il effectue une période militaire. On retient de cette lettre des projets de cartes de Noël illustrés par Coutaud pour un contact de Rose Adler et une proposition de faire son portrait.

«[...] L'autre dimanche, le moment passé chez vous m'a fait un bien énorme [...].
Hier par une permission, j'ai pu rester quelques heures à Paris, mes amis avaient de tout autres visages, ce qui m'a beaucoup peiné, cela ne vous arrive pas quelques fois ? L'impression est affreuse n'est-ce pas ?
Vraiment vous êtes très gentille pour moi, je ferai votre portrait parce que votre visage ne doit pas changer.
Avez-vous vu le Monsieur aux cartes de Bon Noël ? J'y songe.
Recevez chère amie, mes amitiés bleues comme mon costume.»

Cette lettre est illustrée d’un dessin titré «L’ennui» représentant deux personnages éplorés, l’un couché et l’autre à genoux devant le premier les bras levés.

Le 4 octobre 1930, Rose Adler continue à s’occuper de la promotion de l’oeuvre de Coutaud. Elle travaille ce jour avec Monsieur Walter et un certain Varney à une publicité pour faire connaître Coutaud aux américains. «Chez Nancy à 6 h Walter, Varney et moi travaillons à la publicité de Lucien Coutaud pour le révéler aux américains». C’est ce qu’elle écrit dans son journal. Le 25 novembre 1930, Rose Adler reçoit Monsieur Walter (elle précise «libraire» pour ne pas le confondre avec le collectionneur du même nom) et Véra Gabrilovitch pour leur faire voir des gouaches de Coutaud dont elle plaide la cause. «Il aura probablement une exposition en février aux 4 chemins. Nous parlons peinture - mouvement littéraire. L’art à scandale si nécessaire en tant que réaction a fait son temps. Le besoin de faire quelque chose d’immense se fait sentir dans tous les domaines». Ce projet d’exposition pour Coutaud, elle en parle vraisemblablement à Denise Bernollin à qui elle rend une brève visite avec Madame Jeanne Dubost le 29 novembre en fin d’après-midi, même si l’objet de cette visite est de s’intéresser aux travaux artistiques de Denise Bernollin elle-même. Ceci nous vaut une description de l’atelier de cette dernière dans le journal de la décoratrice : «Je ne passai que quelques minutes à l’atelier de la petite Denise - avec Jeanne Dubost - Petite Denise dans son atelier tout blanc avec son divan de toile cirée noir et blanc - trois coussins de la même matière confectionnés par elle - une table avec des livres - une boule de verre avec une seule rose - sa toute petite table de travail devant les fenêtres à rideaux blancs et sur le mur blanc se détache le grand poêle à tuyau noir».

A partir du 6 février 1931, Coutaud présente sa première exposition personnelle, Galerie des 4 Chemins à Paris, grâce à Rose Adler. Pour le vernissage les amis sont venus. Quelques collectionneurs aussi. André Salmon, le premier, publie un article fort élogieux dans Gringoire en date du 20 février.

L’été 1931, Coutaud écrit régulièrement à Rose Adler qui l'aide de plus en plus en lui achetant des oeuvres, se dévouant pour lui trouver de nouveaux amateurs, notamment Madame Jeanne Dubost qui lui achète une petite toile, un «6 Portrait», 41 x 27 cm, titré «Tête» à moins qu’il ne s’agisse sous ce titre que d’une désignation comme souvent à cette époque et même lui accordant son appui pour des travaux décoratifs comme des dessins de tissus.

«Nîmes 4 août 31
Chère amie
Vous voudrez bien avoir la gentillesse d'excuser mon grand retard à vous écrire, ce n'est pas tout à fait de ma faute, les dernières semaines de Paris furent assez (très) difficiles et je ne peignais pas comme je le voulais, de plus la personne des tissus Réaumur n'était pas encore de retour de Lyon. J'ai été beaucoup ennuyé de ne pouvoir me servir de votre appui et de vous avoir donné tout ce dérangement pour rien, d'autre part j'ai beaucoup moins de regrets car mes projets n'étaient pas fameux. Ces derniers temps j'étais incapable de faire quoi que ce soit, tout était mal. Maintenant à Nîmes les choses vont un peu mieux, depuis huit jours je peins sans arrêt, je ne sors que la nuit.
Etes-vous satisfaite de votre séjour à Evian [...].
Chère amie Rose ne m'en veuillez pas et ne me grondez pas, soyez assez gentille pour ne pas me parler de tous ces ennuis dans votre réponse, mes parents savent toute votre amabilité pour moi et je suis obligé de leur montrer votre lettre.
Madame Dubost m'a payé. Quelques jours avant mon départ j'ai vendu une toile, ce qui m'a permis de partir.
Chère amie encore pardon et croyez à mon amitié.
Je vous embrasse la main.
Lucien Coutaud
10 rue de la Madeleine Nîmes
Je vous envoie aujourd'hui 2 nouvelles gravures.»

«Nîmes 13 août 31
Chère amie,
Votre lettre m'a fait grand plaisir, c'est très chic de vous intéresser à moi comme vous le faites. Depuis deux ans votre gentillesse n'a pas diminué, c'est merveilleux, aussi vous pouvez croire que cela me touche énormément.
Que pensez-vous de ces quelques projets de cartes de Noël, qui peuvent très bien se réaliser en pointes sèches - pour la couleur (il y en a très peu) il me sera très facile et pas ennuyeux de la passer moi-même sur la gravure. La plaque de cuivre peut supporter 80 à 100 épreuves, l'épreuve coûterait de 3 à 3 fr 50 et l'on pourrait demander 25 à 30 fr la gravure (ou plus ?) [...] Ici il ne se passe rien, tranquillement je peins.
Chère amie encore merci [...].
Croyez à ma fidèle amitié.
La gravure aurait une toute petite marge un demi centimètre.»

«Nîmes 10 septembre 31
[...] Les jours se passent bien gentiment à peindre. Dullin m'a écrit, il me propose des décors et costumes pour la saison prochaine, ce serait une pièce de André de Richaud, l'action se passe à Avignon à l'époque des Papes. Dès octobre je dois aller à l'Atelier me mettre au courant de la chose. [...]
Fraigneau est à Nîmes pour quelques jours. Je peins son portrait, vêtu d'une armure ! Je me propose cet hiver de peindre plusieurs portraits, pour commencer, le vôtre.
Par le même courrier je vous adresse dix gouaches qui je l'espère ne vous décevront pas trop. J'ai fait quelques projets de tissus.
Chère amie Rose recevez mon amitié respectueuse.»

Ce même mois de septembre, Coutaud apprend avec beaucoup de satisfaction que Rose Adler vient de lui vendre, par l’intermédiaire de René Gimpel, une de ses gouaches, une composition au bateau, au Musée de Toledo aux Etats-Unis.

«Nîmes 21 septembre 31
"Je commence en criant Vive le docteur qui assure votre guérison pour janvier et en remerciant le musée de Toledo qui a bien voulu d'une gouache. Vous ne pouvez savoir combien cette prédiction et cette nouvelle me font grand plaisir, une fois de plus je vous suis redevable d'un bonheur. Ce que vous dites de mon dernier envoi me réconforte un peu car j'étais assez inquiet du travail des vacances, aussi il me tarde de vous montrer mes peintures, et de faire le portrait. Merci à la dame australienne gentille. Je ne perds pas de vue le prix Blumenthal. Je voudrais bien à la rentrée connaître les conditions exactes. Et vous chère amie avez-vous depuis votre retour réalisé du nouveau ?
Pour Dullin je saurai très bientôt de quoi il en retourne et ferai tout mon possible pour que cela réussisse.
Je vous envoie aujourd'hui 4 gouaches qui je pense iront comme format, pour le prix ce que vous ferez sera toujours bien.
Chère amie Rose recevez mes meilleures amitiés, mes parents sont ravis et vous remercient de tout coeur.
Votre très reconnaissant
Lucien Coutaud
P. S. Je rentrerai vers le 6 octobre»

Le marchand René Gimpel avait été nommé conseiller du Musée de Toledo en janvier 1930 pour l’achat de maîtres vivants. Il avait fait la connaissance de Rose Adler en juillet de la même année et lui avait confié des encadrements. Dans son journal personnel, en date du 15 septembre 1931, Rose Adler ne cache pas sa satisfaction pour cet achat : «Visite de Gimpel et la joie de lui voir acheter à Coutaud une gouache pour le musée américain. Bonheur de ce geste ». Rose Adler met alors Coutaud en relation avec René Gimpel. Une lettre de Lucien Coutaud à Rose Adler datée d’octobre 1931 en témoigne.

«Mardi
Chère amie
Je suis allé chez Monsieur Gimpel. C'est un type extraordinaire, gentil et intéressant. Sa maison ressemble au musée du Louvre, d'ailleurs nous devons ensemble aller à ce dit musée.
Je vous remercie beaucoup de me l'avoir fait connaître.
Je vous aime bien respectueusement
à demain 5 h 1/2
Lucien Coutaud
PS Il m'a donné 750 fr»

Le travail de Lucien Coutaud intéresse beaucoup René Gimpel. Il est admiratif devant ses gouaches et pense qu'en ce domaine il a beaucoup d'avenir. Il le recevra souvent chez lui, l'emmènera visiter des musées, s'attardant en de longues discussions sur l'art et les artistes.

Le 27 janvier 1932, Coutaud est invité avec Denise Bernollin, Jean Blanzat, André de Richaud... à passer la soirée chez Rose Adler. Peut-être a-t-il eu l’honneur de s’assoir sur le canapé de Pierre Chareau qui fait la fierté de la maîtresse des lieux. Rose Adler évoque cette soirée dans son journal personnel en date du 28 janvier 1932.

«Jeudi soir sont venus De Richaud, Blanzat, les amis de Coutaud et de Denise Bernollin. Fraigneau avait raison pour de Richaud. Il est inquiétant d’arrivisme, d’assurance. De voir Blanzat éclaire singulièrement son oeuvre écrite. Délicat et fragile comme une femme sensible. [...] De Richaud me raconte que Jacques Doucet avait acheté son premier livre Saint Delteil. C’est une confirmation pour moi. Je crois que lui et Blanzat représentent l’avenir à moins que cette assurance et son arrivisme ne faussent cette promesse».

Le 4 février 1932, Coutaud continue à travailler au portrait de Rose Adler. Dans son journal, cette dernière note à la date de ce jour : «Vernissage de l’UAM [Union des Artistes Modernes] - Après la séance de pose pour Coutaud nous filons au Pavillon de Marsan». On sait que c’est en 1929 que Rose Adler quitta la Société des Artistes Décorateurs pour l’Union des Artistes Modernes. Le 8 février 1932, le portrait de Rose Adler, un portrait à la gouache de grandes dimensions, est déjà bien avancé. A cette date l’artiste en note le réglement dans un carnet : «Portrait Rose 700».

En mars 1932, René Gimpel organise une petite exposition de gouaches de Coutaud dans sa galerie du Quai Voltaire. On en devine l’aide généreuse de Rose Adler.

Début avril, Coutaud passe quelques jours de vacances à Nîmes auprès de ses parents. A son retour, il termine le portrait de Rose Adler. Le 20 avril, il est invité en même temps que Denise Bernollin et Rose Adler chez Madame Jeanne Dubost. Rose Adler en relate les circonstances dans son journal. «Il y avait chez Jeanne Dubost - Florent Schmitt et Coutaud et Denise et Luc Durtain qu’on sent observateur et fuyant et pourtant poète. Il y avait une atmosphère de luxe et de légèreté».

En août 1932, Rose Adler documente Lucien Coutaud sur le Palais des Papes d’Avignon pour l’aider dans ses projets de décoration du «Château des Papes» d’André de Richaud qu’il réalise en ce moment à la demande de Charles Dullin.

«Nîmes 2 septembre 32
Ma chère grande amie
Il y a quelques jours j'ai été ravi de savoir par votre lettre que certains anges des gouaches venaient en visite chez vous, vous apporter mes amitiés. Je voudrais bien être à leur place, ils sont égoïstes et ils ne m'en avaient rien dit. J'ai reçu vos documents très intéressants sur le Palais des Papes et chose curieuse par le même courrier je recevais une lettre de Dullin me demandant de lâcher Mr de Pourceaugnac (qui ne passera qu'en décembre) et de travailler immédiatement à la pièce de Richaud qui sera sûrement présentée vers le 6 octobre. Votre intuition m'a épaté. Malheureusement le pauvre Dullin ne m'offre pas grand chose. Tant pis, pour partager certains bonheurs il faut subir beaucoup d'ennuis. Avant-hier à 6 h dans la rue j'ai rencontré Sauguet, il passait ici pour aller à Toulouse. Je ne m'attendais pas à cette rencontre, nous avons passé la soirée très agréablement. Inutile de vous dire qu'il m'a raconté mille histoires très drôles ! [...] Je ne sais encore la date à laquelle je rentrerai, je crois le 15 ou 20.
Ne m'en veuillez pas, je me permets de vous embrasser.
Votre ami Coutaud»

La première représentation du «Château des Papes» a lieu le 14 octobre de cette année au Théâtre de l'Atelier. Pour Rose Adler et les amis de l’artiste, la réussite n’est pas au rendez-vous. Rose Adler relate son indignation dans son journal en date du 27 octobre :

«Jeudi 27 octobre. Chez Dullin Le Château des Papes de de Richaud. Costumes de Coutaud. Ses décors ne sont pas là. On ne les a pas compris, pas appréciés. Ses costumes ne sont plus en liaison avec le fond ridicule que Dullin impose fièrement aux regards. Tapis de la place Clichy - petit meuble semi-oriental affreux - Quelle tristesse. Tout en moi en ses amis se lève en armes. Nous manifestons bruyamment à la fin - mais ni Coutaud, ni de Richaud ne sont là pour répondre à l’appel».

La critique dans la presse ne témoigne cependant pas d’une telle déception. Elle est même plutôt favorable à ce spectacle.

Le 26 décembre 1932, Coutaud écrit à Rose Adler pour la remercier de la délicate attention qu’elle venait d’avoir à son égard pour les fêtes de Noël :

«Chère amie Rose de Noël
Je ne sais comment je pourrai vous remercier de votre si délicate attention. Vous ne pouvez croire combien ces bonnes choses m’ont été agréables.
Tout ce que vous faites pour moi est vraiment très chic.
Jamais je ne saurai vous rendre tout ça.
J’espère que vous avez passé un excellent Noël. Demain je vous téléphonerai. Il me tarde de voir les éventails.
Croyez à mon amitié affectueuse.
Merci encore.
Lucien Coutaud.
P. S. Je vous prépare des voeux «gouache».

En 1933, Coutaud garde sa préférence pour le travail à la gouache. De mieux en mieux il maîtrise cette technique. Rose Adler lui achète cette année encore plusieurs gouaches pour lesquelles elle créera de remarquables cadres. On sait qu'elle se fait de plus en plus une grande réputation dans le domaine des arts décoratifs : création de bijoux, cadres, tissus, reliure de livres et on lui reconnaît des goûts très modernes. Dans ce contexte, Coutaud lui peint accessoirement nous le savons, quelques éventails. Une gouache également acquise par cette dernière, en mai, servira à enrichir un exemplaire de «Cloches pour deux mariages» de Francis Jammes (déjà illustré par Hélène Perdriat) qu’elle terminera de relier pour Madame Louis Solvay en 1934. Il s’agit d’une gouache représentant quelques fleurs éparses dans une forme ovale évoquant un oeuf... On sait également par le livre de comptes de Rose Adler qu’elle a vendue en juin à Madame Solvay «un cadre caoutchouc et métal avec un tableau de Lucien Coutaud», vraisemblablement la gouache dont Coutaud relève le réglement en date du 5 juillet 1933. Dans son journal en date du 27 juin, Rose Adler notait : «arrivée de Madame Solvay [...] Chez moi, elle discerne tout de suite un petit tableau de Coutaud que j’ai encadré de métal chromé et de tissu caoutchouté gris - Je me réjouis pour le petit peintre de cet achat», un achat qui rejoindra d’autres commandes à Rose Adler, notamment une remarquable peinture de Picabia acquise antérieurement et encadrée par elle.

Cette année 1933 aussi, Rose Adler faisait connaître le travail de Lucien Coutaud à Madame Marie Cuttoli qui dirige à Paris la Galerie Vignon, 17 rue Vignon, et un atelier de lisse à Aubusson. En date du 25 mars, Rose Adler notait dans son journal : «Visite de Madame Cuttoli. Satisfaction de l’avoir intéressé à Coutaud à qui elle fera faire des sièges de tapisserie et elle fera une exposition Lucien Coutaud». Marie Cuttoli achète cette année à l’artiste plusieurs gouaches et lui commande quelques cartons de tapisseries destinés à des sièges. On sait également que le jour de l’inauguration de la librairie de la Galerie Vignon, le 7 avril 1933, Marie Cuttoli commanda à Rose Adler un sous-verre pour encadrer une gouache de Coutaud destinée à être offerte au gouverneur d’Algérie.

L’été 1933, en vacances à Nîmes, Coutaud écrit, comme les étés précédents, à Rose Adler.

«Nîmes 17 août
Chère amie,
Vraiment je ne sais comment m'excuser d'avoir tellement tardé à vous demander de vos nouvelles, où vous êtes et si votre séjour près de l’eau ou des montagnes se passe agréablement.
Pour moi à Nîmes où je suis depuis le premier, rien n'a changé, comme tous les ans tout s'y passe de la même façon. Je peins chaque jour à la gouache en songeant à ma future exposition. J'ai retrouvé mes parents en excellente santé et ravis de m'avoir pour deux mois. Je leur dis souvent tout ce que vous faites d'épatant pour me permettre de peindre, aussi vous pouvez croire grande leur reconnaissance pour Mademoiselle Adler.
[...] Avant mon départ j'ai revu Madame Cuttoli qui m'a fait beaucoup de promesses agréables pour l'avenir. Pour l'instant c'est tout ce que je puis vous raconter. Passez de bonnes vacances et recevez les amitiés affectueuses de
Coutaud
10 rue de la Madeleine Nîmes.»

Le début de cette lettre, conservée comme les autres lettres de Lucien Coutaud à Rose Adler à la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet (pour laquelle elle s’était tant dépensée après la mort de Doucet), est délicatement orné d'une rose dessinée et peinte à la gouache dans des tons roses pastels avec en vert pâle la tige et ses épines...

En novembre 1933, Coutaud se rend à Philippeville en Algérie, alors territoire français, pour réaliser quelques décors destinés au théâtre de cette ville. On sait qu’il a obtenu ce travail par l’intermédiaire de Marie Cuttoli. Il profite de ce voyage pour rechercher à la demande de Rose Adler certains matériaux rares ou insolites à usage décoratif, sans succès... Ceci nous vaut également de savoir que Rose Adler lui avait commandé avant son départ deux gouaches représentant des paysages enneigés...

«Chère amie Rose
Je suis vraiment honteux de vous écrire si tard et aussi de n'avoir pas encore fait les deux petites gouaches de neige, mais vraiment jusqu'à aujourd'hui la confection des maquettes pour le théâtre m'a pris un temps fou, et de plus il y a le pays qui a vraiment un visage et un air tellement différent de ceux que je connaissais, alors chère amie vous comprenez pourquoi et vous voudrez bien ne pas m'en vouloir de ne vous avoir pas écrit avant. J'ai cherché des «matières» mais je n'ai rien trouvé, tout ce que l'on trouve ici pourrait très bien s'acheter au "Bazar de l'Hôtel de Ville", pour découvrir quelque chose il faudrait aller beaucoup plus vers le sud.
Mon séjour ici qui a été très agréable (un climat merveilleux, du soleil chaque jour, le printemps continu) touche à sa fin. Je partirai à la fin de cette semaine ou au début de l'autre, dès mon arrivée je vous téléphonerai et peut-être ne sera-t-il pas trop tard pour vous remettre les 2 gouaches. Nous aurons tant de choses à nous raconter.
J'espère que pour vous tout marche comme vous le voulez et que votre santé et votre travail vous rendent les jours agréables. Blanzat m'a écrit, il est très touché par la lettre que vous lui avez envoyée.
Chère amie Rose pardon et croyez à mon amitié.
Mes hommages respectueux à madame Adler.
Lucien Coutaud
Mairie de Philippeville
Algérie»

Les premières semaines de l'année 1934 sont consacrées par Coutaud à la préparation d’une nouvelle exposition particulière qui aura lieu chez Marie Cuttoli à la Galerie Vignon à Paris. Rose Adler suit les préparatifs de cette exposition à laquelle elle est associée pour les encadrements et on sait qu’en févier 1934 elle a à nouveau acheté une gouache à Lucien Coutaud. Seule ombre, ce mois de févier, un différent entre Rose Adler et Marie Cuttoli au sujet d’un cadre copié par cette dernière. Rose Adler note en date du 19 février sa déception à ce sujet dans son journal : «Chez Madame Cuttoli retour à la vie conventionnelle - petites malhonnêtetés - Mon cadre copié par un petit façonnier - Je suis agacée surtout à cause de Coutaud et de son exposition». Le lundi 26 février, Coutaud relatait les préparatifs de cette exposition dans une lettre à ses parents.

«[...] depuis une dizaine de jours je suis très occupé à organiser mon exposition qui aura lieu à partir du vendredi 9 mars. Je passe mon temps à voir madame Cuttoli, Rose Adler et les amis qui doivent m'envoyer du monde. Ca s'annonce assez bien et j'espère que malgré le moment tout se passera bien. Il y aura en tout une trentaine de gouaches et des dessins. [...]».

Le 7 mars, Rose Adler évoquait dans une lettre à Madame Solvay les derniers préparatifs de l’exposition Coutaud et à la lecture de cette lettre on apprend que Madame Solvay avait consenti de prêter une gouache de Lucien Coutaud encadrée par Rose Adler.

«[...] Je finis de bâcler une série de cadres pour l’exposition à la Galerie Vignon de Lucien Coutaud dont le vernissage est vendredi. Le pauvre garçon est bien inquiet, étant donné les temps, il est bien heureux de votre prêt ; dès la fin de l’exposition je ferai enfin apporter Avenue Victor-Emmanuel ce tableau qu’on aime toujours beaucoup. [...]»

L’exposition Coutaud à la Galerie Vignon se tient du 9 mars au 22 mars 1934. L'artiste sera présent à la galerie durant toute cette période. Parmi les personnes venues au vernissage le vendredi 9 mars, de 14 à 19 heures, il y a les amis, les amis des amis, des collectionneurs, et aussi quelques visiteurs inattendus. A la lecture du relevé fait par Coutaud des personnes présentes ce soir là, on remarque les noms de Jean et Marguerite Blanzat, Eugène Dabit, Marc Bernard, Denise Bernollin, Rose Adler, madame Henri Bonnet, René Gimpel, Robert Honnert et son épouse, la Comtesse de Panges, René et Marie-Hélène François, Geo Achard, monsieur Achard, Antoine de Roux, Pierre-Olivier Lapie, Henri Sauguet, Georges Vakalo, le docteur Jean Dalsace venu avec Pierre Chareau, Fernand Léger, Giorgio de Chirico... Le lendemain on pouvait voir madame Jeanne Bucher, Raoul Leven, Guy Selz et à nouveau René Gimpel. Le lundi suivant, parmi les nouveaux visiteurs, on peut reconnaître Jacques Prévert ainsi que René Blum et un peu plus tard, le 18 mars, on y rencontrera André Salmon.

On peut notamment admirer à cette exposition le grand «Portrait de Mademoiselle Rose Adler» daté de 1932 et prêté par cette dernière sur l’insistance de Coutaud, le «Portrait de Jean Blanzat» daté de 1933, «Souvenir de Pazac» de 1933, «La femme sous la table» qu'il venait de peindre récemment, mais la plupart des oeuvres présentées (presque exclusivement des gouaches, en dehors du portrait de Blanzat et de quelques dessins bien que le carton d’invitation précise «exposition de gouaches) ne sont pas titrées.

Les notes de Rose Adler dans son journal, au retour du vernissage, méritent d’être citées.

«J’étais triste et lasse. Le matin je m’étais beaucoup démenée pour faire un cadre de fortune pour mon portrait. Coutaud s’obstinait à vouloir le montrer à son exposition. Mes autres cadres mettaient bien en valeur sa peinture. C'avait été un peu une course, mais la réussite paye de l’effort. A la porte de la galerie où j’arrivais lasse de corps et d’esprit et pas bien ravie de me retrouver en face de Madame Cuttoli à cause du cadre copié, je trouvais Doley et Annie Dalsace enchantées de l’exposition et des progrès de l’artiste. J’en fût surprise moi-même - Impression si claire de poésie intérieure - d’un monde étrange ramené au jour. Un portrait à l’huile de Blanzat tout à fait réussi, étonnant d’arrangement et de ressemblance - plus fort que les autres compositions qui valent surtout par la couleur et l’arrangement. Une grande gouache comme une tapisserie vénitienne et surréaliste à la fois. Coutaud me présenta en haut un petit personnage à la fenêtre : c’est mon propriétaire dit-il et le type qui s’en va en bas c’est moi. L’atmosphère était délicieusement claire - atmosphère de contes de fées - Devant «La jeune fille malade», qui est l’écuyère qui rentre par la porte sur son cheval enjuponné ? dis-je. «Mais c’est la guérison» répondit avec assurance mon jeune peintre, comme si c’était évident. Devant un dessin à la mine de plomb représentant Blanzat avec sa sensibilité presque féminine je trouvais Marc Bernard court et robuste avec sa crinière blanche, sa tête massive, un regard d’illuminé. Il remarque que l’ensemble des oeuvres de Coutaud était éloquent pour l’artiste. Chaque image faisait germer dans l’esprit de l’écrivain une nouvelle. Je parlai assez longuement avec lui et Blanzat, avec ce dernier du manuscrit sur l’Angleterre qui intéresse la bibliothèque pour un cahier Jacques Doucet».

Le 12 mai 1934, Coutaud revoit René Gimpel ainsi que Rose Adler qui lui demande de peindre un nouvel éventail. D’autres rencontres avec Rose Adler peuvent être notées ce même mois.

En août 1934, en vacances à Nîmes, il entreprend pour Madame Solvay des illustrations à la gouache pour un exemplaire des «Moralités légendaires» de Jules Laforgue. Une lettre à Rose Adler datée du 26 septembre nous donne cette information que Coutaud confirmera par la suite dans ses notes biographiques.

«Chère amie Rose,
Je suis impardonnable de répondre si tardivement à votre gentille lettre du 15 août, la veille de votre départ en croisière, je crois. [...] Ici mes vacances se passent comme toujours, près de mes parents qui sont très gentils. Tranquillement je peins, mes nuits je les promène invariablement dans les rues et après je dors, et voilà. Aussi vous pouvez croire que mes amis et Paris commencent à me manquer beaucoup. J'ai fait suivre votre lettre à Blanzat, dernièrement il m'écrit avoir terminé une nouvelle destinée à la Bibliothèque J. Doucet. J'ai songé aux illustrations de madame Solvay, je travaille en ce moment une série de gouaches pour les "Moralités légendaires" de Jules Laforgue. [...]
J’espère rentrer vers le 15 octobre. Mes parents vous disent bien des choses
et moi je vous embrasse la main bien fort
Coutaud»

On ne sera pas étonné de voir cette lettre illustrée sur la première page, avant le début du texte, d'une gouache à fond bleu nous montrant de dos une jeune femme à la longue robe rose, assise, jouant de la musique sur un piano à queue.

En 1935, Coutaud revoit toujours souvent Rose Adler. On sait que par son intermédiaire et celui d'Henri-Pierre Roché, il vend en février une petite gouache à la Galerie Georgette Passedoit de New York. Le 12 avril de cette année, Rose Adler resollicite Coutaud pour qu’il envoie de nouvelles gouaches à la Galerie Georgette Passedoit.

Durant ses vacances d’été à Nîmes, il écrit comme d’habitude à Rose Adler. Ainsi une lettre datée du 7 octobre 1935 nous permet de découvrir que ses relations avec les marchands et intermédiaires sont beaucoup plus complexes qu’il n’y parait surtout que Coutaud ne veut froisser personne.

«Chère amie Rose,
Je suis vraiment honteux de vous écrire tellement tard. J'ai bien reçu votre carte de Corse. Votre pensée m'a fait très plaisir. Me voici à Nîmes depuis près d'un mois, après avoir passé deux semaines épatantes à Antibes chez Madame Cuttoli, où j'ai rencontré Picabia. Vous veniez de passer à Cannes, j'aurais beaucoup aimé vous y rencontrer. Ici j'ai assez travaillé, à mon retour je vous montrerai ces gouaches et vous me direz ce que vous en pensez.
Denise vient de me dire quelques mots au sujet de Mlle Passedoit et d'une exposition en Amérique. Voici ce qu'il y a. J'ai envoyé en tout quatre petites gouaches à Mlle Passedoit jusqu'à ce jour, elle m'en a vendu une à 200 fr, je dois donc 30 fr à Mr Roché, les 15 % étaient convenus. D'autre part dans sa dernière lettre Mlle Passedoit me disait qu'elle aimerait bien me faire une exposition chez elle. A cette lettre je n'ai pas encore répondu - car madame Cuttoli doit aller (sauf changement) en Amérique avant la fin de l'année et m'y organiser une exposition. Dès son retour je saurai je pense si cela tient toujours et pourrai à ce moment prévenir Mlle Passedoit.
Et vous chère amie êtes-vous contente de vos vacances, avez-vous des choses intéressantes à faire ? Il me tarde de vous revoir, nous aurons sûrement des tas de choses à nous dire. Je n'oublie pas que tout ce qui m'arrive d'agréable c'est en grande partie à vous que je le dois. Excusez-moi, mais il y a des moments où l’on ne sait pas écrire.
A bientôt. Je rentre le 16.
Chère amie Rose veuillez croire à mon amitié
et me permettre de vous baiser bien fort la main.»

L’été 1936, Coutaud de passage aux Saintes-Maries-de-la-Mer avec Marc Bernard n’oublie pas d’envoyer une carte postale à Rose Adler. Cette carte postale représente la barque de la célèbre procession de ce lieu avec les deux saintes et un bras reliquaire. Pourtant, cette année 1936, Rose Adler ne lui a acheté qu’une oeuvre, en janvier. Les temps sont difficiles. C’est l’année du Front populaire. Coutaud expose néanmoins du 30 octobre au 14 novembre 1936 à la Galerie Jeanne Bucher-Myrbor, une galerie résultant de l’association de Jeanne Bucher et Marie Cuttoli, un ensemble de peintures, de gouaches et une tapisserie, «Paul et Virginie», tissée en un seul exemplaire par André Delarbre à Aubusson. L'invitation au vernissage est un simple carton, comme souvent à cette époque : «Madame Jeanne Bucher et Madame Cuttoli vous invitent à l'exposition, dans leur galerie, des oeuvres récentes et d'une tapisserie de Lucien Coutaud. Vernissage le 30 octobre à 16 heures». La galerie fait figure de galerie d'avant-garde et les liens de Rose Adler avec Marie Cuttoli et également avec Jeanne Bucher dès le tout début des années 1930 ne sont certainement pas étrangers à la présence de Coutaud parmi les artistes présentés à cette époque. Jeanne Bucher obtiendra en mars 1937 l’entrée d’une grande gouache sur panneau de Coutaud, datée de 1936, «Le printemps», dans les Collections nationales.

Le 23 février 1937, Rose Adler achète une petite gouache à Lucien Coutaud. Pour lui faire plaisir, l’artiste accepte d'illustrer la couverture d'un cahier d'écolier avec Parmentier pour sujet. Il demande à Jean Blanzat un texte d'accompagnement.

«[...] Rose Adler et d'autres personnes éditent des cahiers d'écoliers, qui intérieurement sont comme tous les cahiers, mais les couvertures seront illustrées par des dessins représentant un homme célèbre. Elle m'a confié "Parmentier", donc si tu veux bien m'envoyer avant la fin du mois un texte de 50 lignes sur Parmentier [...]. Il y aura 30 cahiers différents, textes de Cassou, J. R. Bloch, Luc Durtain etc... illustrés par Léger, Lurçat etc... Tu auras pour cela 250 fr. Je pense que c'est assez drôle à faire et très bientôt tu m'enverras le papier, j'en ai besoin pour faire le dessin (en couleur). Je ne connais pas grand chose sur Parmentier.
A bientôt, il faut que je donne le tout à Rose avant le 1er mars.»

Du 2 mars au 31 mars 1937, Coutaud participe à la Galerie Rive Gauche à Paris à une exposition collective sur le thème de la musique : «La Musique - Exposition de peintures». Il y présente une gouache titrée «Souvenir de Mozart», peinte récemment, inspirée par une peinture de Thaddäus Helbling conservé au Musée Mozart de Salzbourg : «W. A. Mozart am Klavier». Il s’agit d’un portrait de Mozart enfant. Il y a un lien secret avec Rose Adler, encore faut-il le découvrir. En janvier 1937, Rose Adler avait adressé à Lucien Coutaud une carte postale représentant cette oeuvre et en comparant la gouache de Coutaud et son modèle, on en retrouve la filiation.

Le 11 avril 1937, Coutaud achève de peindre «Le mythe de Proserpine», une grande peinture murale pour le Palais de la Découverte s’intégrant dans le contexte de l’Exposition internationale de 1937. Dans Proserpine, on retrouve rose, mais cela ne relève que du hasard. Le 25 avril 1937, Coutaud revoyait Rose Adler avec quelques amis. Le 3 mai 1935, Rose Adler lui commande une nouvelle gouache destinée à illustrer la couverture d’un cahier d’écolier, cette fois avec Washington pour sujet. Hommage à l’Amérique en laquelle ils espéraient tant. Le 29 juin 1937, Coutaud reçoit Monsieur Alfred Sidès, un ami de Rose Adler qui avait été l’associé de René Gimpel. Sidès lui achète «Visite à la Dame des feuilles», une gouache dont nous ignorons l'année de composition. On sait que vers la fin de l’année précédente, Alfred Sidès avait contribué à l’organisation de l’exposition de Salvador Dali à la Galerie Julien Levy de New York.

Pour les années qui suivront, nous n’avons aucune information sur d’éventuels travaux de Lucien Coutaud pour Rose Adler et on peut raisonnablement penser qu’il n’y en a pas eus. La dernière présence de Coutaud, à proximité de Rose Adler, à proximité seulement, est sa participation durant l’été 1939 à la Golden Gate International Exposition de San Francisco où Marie Cuttoli présente l’une de ses deux grandes gouaches dénommées «La carte postale», celle de 1937, également connue sous le titre «Le printemps». Alors que Rose Adler présentait une sélection de ses plus belles reliures.

Si Coutaud revit Rose Adler après la guerre, ce le fut au hasard de vernissages d’expositions, au hasard de rencontres de rue. Mais le souvenir de Rose Adler restera dans son oeuvre, marqué par sa prédilection pour le rose. Il y eut «La maison rose», une toile peinte en juin 1944, dont on sait que c'était le nom de la maison où elle se trouvait à cette époque à Brive en Corrèze. Il y aura par la suite encore toutes ces toiles et gouaches marquées, de loin en loin, du rose de sa reconnaissance : «Jeune personne tachée de rose», «Elles cherchent dans le rose du soir», «Pêcheurs par temps rose», «Arbres par temps rose», «Visage très rose»...

Rose Adler, elle-même, après 1945, imaginait encore d’intégrer Coutaud dans un projet de ballet dont elle avait écrit l’argument, projet intitulé «Fête foraine».

«Je travaille à fignoler «Fête foraine», peut-être faudrait-il un autre titre parce qu’il y a eu «Les Forains» de Sauguet et «Fête» de Debussy. «Fête foraine» (Ballet-musée sur anthologie sonore) m’allait bien. Pourquoi pas fixer ces visions des artistes d’une époque ? Ballet-musée sur un enchaînement de fonds sonores de Sauguet - Poulenc - Auric - Milhaud...
Voici le premier jet écrit il y a environ vingt-cinq ans. Mes évocations me font associer maintenant l’accordéoniste de Picasso (1905), les écolières de Marie Laurencin (les écoliers aussi), les fléchettes, les friandises à Miro, les animaux en pain d’épice auront peut-être des cagoules de Brauner...
Costumes de Lucien Coutaud pour la danse macabre du tir, côtes et tibias etc traités comme des pipes d’écume peints sur des maillots de drap noir, en somme des squelettes qui transparaîtraient.»....

Derniers feux d’une époque qui voulut magnifier le rêve.



Couverture : «Jeune fille champêtre», lithographie, 19 x 14,5 cm, 1957.

«Portrait de Mademoiselle Rose Adler», gouache sur papier, (1932).
Collection particulière.

Sans titre (Composition au bateau), gouache sur carton, 48,3 x 61 cm, (1931).
Musée de Toledo.

«Portrait de Denise Bernollin», gouache sur papier, 67 x 52 cm, 1936.
Fonds Coutaud.

«La pianiste», gouache sur carton, 1935.
Collection particulière.

Thaddäus Helbling : «W. A. Mozart am Klavier»
Huile sur toile, Mozart-Museum, Salzbourg

Etudes préparatoires pour «Souvenir de Mozart», 1937.

«La maison rose», huile sur toile, 38 x 46 cm, 1944.
Fonds Coutaud.

Les années métaphysiques

Lucien COUTAUD - 1944 ~ 1947




LES ANNEES METAPHYSIQUES


Exposition Galerie Marion Meyer, Paris, du 20 novembre 1997 au 17 janvier 1998.







Né le 13 décembre 1904, décédé le 21 juin 1977, Lucien Coutaud, très lié au monde du théâtre et à celui des arts décoratifs dans les années 30, quoiqu’il tenait à être considéré avant tout comme peintre, sa vraie vocation, verra son nom véritablement reconnu au décours des années sombres, des années d’Occupation, devenant une des figures majeures de l’art de l’immédiat après-guerre, de la Jeune Peinture Française.

Introduit dans le monde des lettres, il fréquente au début des années 40 Georges Hugnet, Paul Eluard, Robert Desnos, Jean Paulhan, Jean Blanzat avec qui il s’était lié d’amitié dès 1929. Il entretient des liens amicaux avec des peintres comme Jean Bazaine, Jacques Despierre, Alfred Courmes, Félix Labisse et noue quelques relations avec Picasso. En 1942, il est l’un des «Vingt jeunes peintres de tradition française» qui exposent à la Galerie Braun, première manifestation d’Art d’avant-garde sous l’Occupation. En 1944, il est autour de Gaston Diehl l’un des membres fondateurs du Salon de Mai. Après la guerre, on le verra se lier d’amitié avec Lise Deharme, Oscar Dominguez, Boris Vian, fréquenter l’univers de Saint-Germain des Prés sous le signe du jazz et de l’existentialisme.

Dès 1940, l’on pouvait remarquer dans sa peinture les prémices d’un bouleversement en profondeur de son art et sa manière de peindre qui ne tardera pas à être on ne peut plus manifeste. Cette année là, on peut découvrir ses fruits en ville, avec les premiers fruits tranchés et à leurs côtés un ou plusieurs couteaux. Le peintre au nom tranchant joue indubitablement avec l’homophonie. La présence de grenades parmi ces fruits n’est de plus pas non plus anodine. Fin 1942, Coutaud compose ses premiers squelettes de fruits, ultime avatar de la pomme de Cézanne. En 1943, il est le décorateur reconnu et admiré du «Soulier de Satin» de Paul Claudel mis en scène par Jean-Louis Barrault à la Comédie Française, une parenthèse dans sa création, reconnaissant lui-même ce travail beaucoup trop éloigné de sa peinture. «Il vaut mieux ne pas en parler». Un séjour aux Baux de Provence durant l’été à l’invitation de Pierre Delbée, le marque profondément. En 1944, tout se précipite. L’univers du peintre devient sombre, inquiétant, agressif, marqué par l’influence de l’oeuvre de Franz Kafka et surtout (à partir du mois de juillet de la même année) par l’influence de celle de Raymond Roussel dont il transpose le procédé dans son propre champ pictural, devenant le premier grand redécouvreur de Roussel. Coutaud travaille tout d’abord à une série de peintures sur le thème de la ville, des rues et des places («La rue étoilée», «La maison jaune», «La maison rose», «La nuit rue des plantes», «Trois nuages bleus sur la place verte», «Cité végétale»...). Dans cet univers en apparence chiriquien reprenant les couleurs du maître de la Métaphysique, détournement voulu du peintre, tout en gardant ses distances, en conservant son originalité, viennent se dresser devant nous des personnages tout aussi inquiétants, aux corps articulés, puis plus tard scindés, morcelés, mannequins encore, ou robots déjà, on ne sait. Les visages de Monégasques de la fin de 1944 et du début de 1945 sont des visages d’existentialistes. Les personnages aux fers à repasser («Les sept fers» de 1944, «La demoiselle des fers» de 1945...), ceux présentant un squelette de fruit, sont leurs semblables. Ce sont également des personnages rousselliens. On reste dans l’absurdité préméditée. Coutaud connaissait, à n’en pas douter, cette anecdote, d’authenticité en fait discutable, qui voulait que Raymond Roussel ramena à un ami ou plutôt à une amie, vraisemblablement Charlotte Dufrène, de l’un de ses lointains voyages, un fer à repasser, le présentant comme l’objet le plus extraordinaire qu’il ait jamais trouvé. Pour «Le Poète», un ballet de Boris Kochno et Roland Petit sur une musique de Benjamin Godard, représenté au Théâtre Sarah Bernhardt en juin 1945, Coutaud conçoit un décor reprenant le thème des arbres aux yeux peints ces derniers mois («Arbres aux yeux doux» de décembre 1944, «Fragment du verger aux yeux» de mars 1945) et les danseurs et danseuses du ballet sont affublés de masques comme les personnages de ses peintures et coiffés de fers à repasser ou de squelettes de fruits. La Porteuse de pain à l’origine de nombreuses peintures en 1945 - 1946 est un personnage emprunté à un roman feuilleton populaire, de la fin du XIXème siècle, de Xavier de Montépin. Coutaud nous la montrera à de nombreuses reprises, imaginant ses aventures, nous fera connaître ses paysages familiers, son entourage. On verra même la Porteuse de pain et son amie rencontrer un enfant au cerceau, Kafka enfant, autre thème d’inspiration de l’artiste... Un séjour sur la côte catalane, à l’invitation du peintre Willy Mucha, l’été 1945, conduira des Catalanes, Dames de Collioure ou Dames de C., à Mademoiselle Phèdre de 1946, figure majeure, figure emblématique, dans l’oeuvre de l’artiste, une oeuvre évoluant en permanence sous le signe de la métamorphose. En 1947, Coutaud nous fait assister à la fin tragique de la Porteuse de pain croquée ou aspirée par un «dormeur», personnage récurrent dans sa peinture, et ce sera alors l’entrée du Marquis de Sade et de son château de Lacoste dans son univers à la suite d’un travail d’illustrations pour un recueil poétique de Gilbert Lely, «Ma Civilisation», édité par Aimé Maeght en janvier 1948. La découverte de Belle-Ile en Mer, l’été 1948, celle d’une nouvelle lumière, marquera la fin de cette période dite métaphysique.

En cette époque d’intense création artistique, Coutaud expose régulièrement dans les principaux salons de peinture. Il présente notamment «La nuit rue des Plantes» et «Trois nuages bleus sur la place verte» au Salon des Tuileries de 1944, «Moulins à moudre le temps (dédiés à Raymond Roussel)», évocation de «Locus Solus», au Salon d’Automne de la même année, «Les sept fers» de 1944 au premier Salon de Mai en 1945, «En rase campagne, jeune porteuse de pain métamorphosée en chaise» au Salon d’Automne de 1945, «L’escalier de Mademoiselle Phèdre» (toile appartenant à présent au Musée National d’Art Moderne) au Salon d’Automne de 1946, «L’armoire-chair de la porteuse de pain» au Salon de Mai de 1947, «Le château de X et les environs du verre de lampe» au Salon d’Automne de la même année, «L’habitant du Château» au Salon d’Automne de 1948. Il participe également à un certain nombre d’expositions collectives. Il présente en particulier à l’exposition «Le nu dans la peinture contemporaine», organisée à la Galerie René Drouin en avril 1944, une toile titrée «Le modèle» (connue également sous le titre «Vive la mariée nocturne») et à l’exposition «l’oeuvre et sa palette», organisée à la Galerie Breteau en mai 1944, «Les deux soeurs de la lune». En mai - juin 1945, il participe à l’exposition consacrant la «Jeune peinture française» organisée au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles. Enfin trois expositions particulières marquent cette période. Du 7 au 25 mai 1946, la Galerie Roux-Hentschel présente un ensemble de ses oeuvres des années 1944, 1945 et du début de 1946. Du 17 janvier au 7 février 1947, la Galerie Bonaparte présente un ensemble de ses dessins et aquarelles (ou plutôt essencerelles, technique où l’eau est remplacée par l’essence) des mêmes années. Du 29 novembre au 13 décembre 1947, la Galerie Jérôme à Bruxelles lui consacre également une exposition très remarquée d’oeuvres de cette époque. L’été 1948, Coutaud est invité à la Biennale de Venise et du 9 au 30 novembre 1948 une exposition particulière lui est consacrée par la Galerie Maeght à l’occasion de la présentation de «Ma Civilisation» de Gilbert Lely.

Compagnon de route des peintres abstraits dans l’aventure de la Jeune Peinture Française et celle du Salon de Mai, maître de la figuration onirique à la grande époque de l’abstraction, considéré en 1946 par Bernard Dorival comme l’un des liquidateurs du surréalisme, Lucien Coutaud conservera toute sa vie une superbe indépendance et son oeuvre restera, quels que soient les points de repères laissés ici ou là, aussi énigmatique que celle du De Chirico de l’époque de la Metafisica, lui qui considérait De Chirico et Paul Klee comme les seuls maîtres qui l’aient réellement influencé, si l’on doit le croire.

LISTE DES OEUVRES SELECTIONNEES


1. PEINTURES

Le pain, huile sur toile, 36 x 80 cm, 1943.
La nuit jaune, huile sur toile, 46 x 65 cm, 1943.
La rue étoilée, huile sur toile, 65 x 93 cm, 1944.
La maison jaune, huile sur toile, 33 x 41 cm, 1944.
La maison rose, huile sur toile, 38 x 46 cm, 1944.
La nuit rue des plantes, huile sur toile, 36 x 79 cm, 1944.
Rue des plantes, huile sur toile, 50 x 61 cm, 1944.
Rue de l'enchanteur, huile sur toile, 46 x 65 cm, 1944.
Trois nuages bleus sur la place verte, huile sur toile, 36 x 78 cm, 1944.
Cité végétale, huile sur toile, 60 x 92 cm, 1944.
Les deux soeurs de la lune, huile sur toile, 61 x 38 cm, 1944.
Personnage tourmenté, huile sur toile, 22 x 16 cm, 1944.
Nature morte, huile sur toile, 16 x 22 cm, 1944.
Le poulet, huile sur toile, 36 x 78 cm, 1944.
Vive Landru, huile sur toile, 19 x 24 cm, 1944.
Devant sa fenêtre, huile sur toile, 24 x 41 cm, 1944.
Ils attendent, huile sur toile, 46 x 61 cm, 1944.
Deux fers près de l’armoire à glace, 81 x 100 cm, 1944.
L’arbre aux yeux doux, huile sur toile, 50 x 61 cm, 1944.
Fragment du verger aux yeux, huile sur toile, 81 x 116 cm, 1945.
3ème monégasque, huile sur toile, 35 x 27 cm, 1946.
Tête, huile sur panneau, 18 x 14 cm, 1945.
Sans titre (Fer), 55 x 46 cm, 1945.
La demoiselle des fers, huile sur toile, 82 x 55 cm, 1945.
Marine 1, huile sur toile, 27 x 46 cm, 1945.
Barques à Collioure, huile sur panneau, 14 x 18 cm, 1945.
La porteuse de pain et son amie vont rencontrer l'enfant, huile sur toile, 60 x 73 cm, 1946.
Intérieur à la pendule, huile sur toile, 60 x 73 cm, 1946.
La soeur du veilleur de nuit, huile sur toile, 32 x 19 cm, 1946.
Intérieur vert, huile sur toile, 50 x 73 cm, 1947.
2ème nature morte aux pains, huile sur toile, 50 x 61 cm, 1947.
Arbres, huile sur toile, 28 x 26 cm, 1947.
Arbres à pieds blancs, huile sur toile, 38 x 46 cm, 1947.

Personnage d'août, huile sur ardoise, 19 x 12 cm, 1955.


2. GOUACHES - ESSENCERELLES

L'homme des arbres, essencerelle sur papier, 65 x 48 cm, 1945.
La sieste, essencerelle sur papier, 30 x 45 cm, 1945.
Jeune printanier, essencerelle sur papier, 34 x 25 cm, 1945.
Jeune ange, essencerelle sur papier, 45 x 30 cm, 1945.
Suite au matin, essencerelle sur papier, 45 x 30 cm, 1945.
Le personnage mauve, essencerelle sur papier, 43 x 28 cm, 1945.
Toréro, essencerelle sur papier, 47 x 30 cm, 1945.
Nu Jaunesque, essencerelle sur papier, 45 x 30 cm, 1945.
2ème hommage à Raymond Roussel, essencerelle sur papier, 50 x 36 cm, 1944.
2ème étude du dormeur, essencerelle sur papier, 30 x 42 cm, 1946.
Femme à l'escalier, essencerelle sur papier, 63 x 48 cm, 1946.
La tour et environs de F., essencerelle sur papier, 32 x 40 cm, 1946.
Jeune fille des Baux, gouache sur papier, 25 x 33 cm, 1947.
Paysage estival, gouache sur papier, 18 x 25 cm, 1947.

Jambe le matin, gouache sur papier, 26 x 40 cm, 1951.
Paysage sans jambe, gouache sur papier, 26 x 40 cm, 1951.
Intérieur nuageux, gouache sur papier, 25 x 34 cm, 1954.

L’exposition est complétée par une sélection de documents de la période concernée et un exemplaire de «Ma Civilisation» de Gilbert Lely édité par Maeght en 1948, exemplaire de tête dédicacé à Lise Deharme avec une suite en premier état et un dessin original à la plume - sur-illustré à la gouache - représentant le Marquis de Sade et son château : «Pour Lise à dessein, ce dessin de mon amitié pour elle. 30. 11. 48».

Ont été joints à cet ensemble «Dimanche des rameaux» de 1958 et quelques oeuvres de la dernière période de l’artiste.







Itinéraires
de
fers




L’intrusion des fers à repasser dans la peinture de Lucien Coutaud correspond indubitablement au début de ses hommages à Raymond Roussel, à son intérêt idolâtre pour la vie et l’oeuvre de Raymond Roussel. Une légende tenace, mais peut-être y a-t-il une part de vérité, voulait que Raymond Roussel ramena de l’un de ses voyages en guise de cadeau, de souvenir, un tel fer. Coutaud aurait pu apprendre cette anecdote au début des années 40 par Michel Leiris, par d’autres encore qu’il fréquentait à cette époque, peut-être avant par Roger Vitrac, ou la lire dans les souvenirs discutables de Maurice Sachs. A ce choix électif du fer à repasser devenu pour Coutaud objet d’investissement, objet plastique, objet pictural, s’associe, c’est très probable, l’image d’autres fers réels ou imaginaires connus de l’artiste : le célèbre «Cadeau» de Man Ray, objet dadaïste par excellence, récupéré ultérieurement comme objet surréaliste, d’autres fers plus communs qui auraient dû, aux dires de Georges Hugnet, figurer à l’Exposition Internationale du Surréalisme de 1937, les entraves... en fer à repasser d’Ubu enchaîné d’Alfred Jarry en tant qu’objets pataphysiques. Toujours est-il que «les fers à repasser de Monsieur Coutaud» susciteront beaucoup d’interrogations dans le monde de l’art, feront couler beaucoup d’encre dans le microcosme des critiques d’art, au point que la véritable histoire du fer, des fers, l’histoire d’un détournement, en sera pour très longtemps occultée. Coutaud lui-même, d’ailleurs, aura tout fait pour en brouiller les pistes.


«Nous sortîmes du café, puis nous entrâmes dans un magasin qui étalait, en devanture, des ustensiles de ménage, de toute sorte. Je remarquai un fer - le genre utilisé sur les poêles à charbon -, demandai à Satie d’entrer et, avec son aide, j’achetai une boite de clous de tapissier et un tube de colle. De retour dans la galerie, je collai une rangée de clous sur le plat du fer ; j’intitulais le tout : «Le Cadeau» et l’ajoutai à l’exposition. C’était le premier objet dadaïste que je fabriquais en France» [1921].

Man Ray, «Autoportrait», Editions Robert Laffont, 1964.


«Le scandale de l’année [1922], c’est Locus Solus, de Raymond Roussel, au Théâtre Antoine.
Roussel a quelque chose de fou et de génial. C’est un riche bourgeois excentrique.
Il imagina un jour de se rendre en roulotte au Japon. [...].
Tout alla bien jusqu'en Chine. Là, on le hissa avec sa roulotte sur un navire en partance pour traverser la mer de Chine. Mais dès qu’on eut jeté l’ancre, le paysage japonais lui déplut et l’envie de visiter cet empire lui passa sur-le-champ. Pourtant comme il avait juré à son meilleur ami de lui rapporter un souvenir, il descendit une heure à terre et fit l’acquisition d’un fer à repasser qu’il rapporta à cet ami, et repris aussitôt la route vers la France».

Maurice Sachs, Au temps du boeuf sur le toit, 1939.

(C’est l’une des versions de l’histoire du fer à repasser rapporté par Raymond Roussel... certainement la plus contestée, bien que publiée. D’autres versions rapportées par des proches de Roussel voudraient que ce soit à son amie Charlotte Dufrène que Roussel rapporta un fer à repasser comme souvenir extraordinaire de l’un de ses voyages).


«Père Ubu - Et on est en train de me forger, Madame, mon grand carcan de fer à quatre rangs ! [...] C'est tout du solide, du même métal que nos boulets, non point du fer-blanc, ni du fer doux, mais du fer à repasser !»

Alfred Jarry, «Ubu enchaîné», Acte III, scène III.


"Les fers à repasser, les structures mi-réelles, mi-squelettiques des formes, ne sont pas là pour étonner, mais surgissent dans l'oeuvre, comme à d'autres époques, pour des raisons d'importance semblables, surgirent les couchers de soleil, les fesses, les pommes et la nappe, et plus près de nous la guitare, la pipe et la femme tête de montre à remontoir."

Lucien Coutaud, extrait d’une lettre à Georges Limbour, 18 mars 1945.


«[...] Pourquoi ce fer ? Il ne peut avoir qu'une signification dramatique et métaphysique [...]»

Georges Limbour, Dimanche Paysage, 8 juin 1945.


«[...] Les aventures plastiques du fer à repasser, de la lampe et de l’armoire depuis longtemps je les attends avec impatience [...]».

Georges Limbour, préface au catalogue de l’exposition Coutaud à la Galerie Roux-Hentschel, 1946.


«[...] Ses tableaux sont peuplés d’une étrange humanité où le fer à repasser tient une place obsédante [...]».

Bernard Champigneulle, XXè Siècle, 29 mai 1946.


«[...] Depuis quelques années Picasso nous a montré que la cafetière, comme la guitare, ou le fer à repasser de Lucien Coutaud, ou comme le miroir, sont un motif pictural susceptible de toutes les transformations magiques échappant aux explications des critiques d’art. [...]».

André Wollard, «Picasso», Le Pays, 21 juin 1946.


«[...] Coutaud, qui achève sa série de fers à repasser, symbole de l’armure moderne et de toutes les folies de notre siècle métallique et surréaliste. [...]».

Michel Florisoone, Arts, 28 septembre 1945.


«... Un spectacle naturel, une lecture frappent-ils Coutaud : quelques pages de Kafka par exemple, ou bien la vue, dans une poubelle, d’un vieux fer électrique cassé ? Voici que l’imagination se met en branle : «Un fer électrique, est-ce assez mystérieux ?» me disait-il tout récemment, devant plusieurs toiles dont cet objet inoffensif constituait sinon le sujet, du moins le noyau du thème. Autour des différentes images que cet ustensile ménager suscite dans son esprit, d’autres se groupent, de même nature, et le tableau en naît, où le fer électrique, enveloppé par d’autres objets, orchestré, si je puis dire, par des formes harmoniques, comme des phrases musicales dans une symphonie, n’est plus qu’un élément d’une vision poétique, et cristallise telle idée de Coutaud sur la vie» [...]»

Bernard Dorival, «Les étapes de la Peinture Française Contemporaine», Tome troisième. Editions Gallimard, 1946.


"Monsieur Claude Mauriac nous rapporte un propos de François Mauriac qui est allé voir au Musée Galliera "les peintures méconnues des églises de Paris". Et là, devant quelques navets indiscutables comme "La manne" de Philippe de Champaigne ou "La circoncision" de Malosso, il s'est dit que ces peintres de la figure humaine le touchaient infiniment plus que les fers à repasser de monsieur Coutaud. Cela prouve simplement que ni M. Coutaud, ni nous, n'appartenons au même siècle que M. François Mauriac (on s'en doutait). Encore moins à la même religion. Car lorqu'on pense à l'indigence des compositions du 17ème siècle français (Vouet, Vignon, Stella, Largillière, etc...) la peinture de M. Coutaud et de quelques autres apparaît comme un miracle. Voici enfin le déchirement, l'éclatement, l'érotisme et la mort. Voici enfin la célébration de l'homme. Au milieu des fers à repasser, des armoires à glace et des escaliers, ne vous en déplaise aussi légitime et plus urgent aujourd'hui que les tableaux creux d'un Caravage, sinon d'un des Carrache. [...]"

Auteur non identifié, Juin, 18 juin 1946.


«Coutaud peintre «zazou» a lui aussi des modèles, ce sont des fers à repasser. Sa collection est la plus complète qui soit au monde.»

Images du monde, 4 février 1947.

Lucien Coutaud, peintre de l'estuaire

Pour un peintre dont l’œuvre tout entier s’est élaboré en marge du Surréalisme, un explorateur insatiable des limites du rêve, du merveilleux, de l’étrange, ce qui le conduira à devenir l’un des plus percutants créateurs d’images fantastiques du XXème siècle, pour un peintre reconnu comme l’un des maîtres de l’érotisme, venir s’installer en 1953 à Villerville pour retrouver les paysages, les ciels, la lumière des débuts de l’Impressionnisme, sans renier sa propre vision de l’univers, un monde dominé par le désir, peut sembler une gageure, peut paraître relever de la provocation. Et pourtant, au delà des images, il y a la peinture. Et quelle peinture ! Une technique picturale devenue au fil de temps irréprochable, une technique qui ne doit rien à aucun autre, une maîtrise de la couleur comme rarement un peintre n’a su la maîtriser.
La première rencontre de Lucien Coutaud, du moins dans sa peinture, avec la côte honfleuraise, nous pouvons la situer en 1939. Cette année 1939, et également au début de l’année 1940, il peint quelques compositions sur le thème d’«Un dimanche à Honfleur». S’est-il réellement rendu en cette ville le temps d’un week-end ? Honfleur n’est, il est vrai, guère éloigné de Paris. Nous ne le saurons jamais. Rien n’atteste en effet dans les agendas personnels du peintre ou de sa compagne, agendas pourtant remplis avec beaucoup de méticulosité, qu’ils y soient allés à cette époque. Quoi qu’il en soit, Coutaud nous donne en 1939 et 1940 des images d’une plage à Honfleur, puisqu’il s’agit effectivement d’images de plage, sans que nous puissions deviner si elles sont issues de son imaginaire ou si elles sont liées à de réels souvenirs.

En décembre 1942, il peint à la gouache, en une grande composition, son plus important autoportrait, un autoportrait intitulé «Portrait du Peintre» ou «La lettre». Dans cette composition les genres sont mêlés et l'on voit, présentée dans un intérieur, une nature morte avec des fruits, un chapeau, un soulier... Certains de ces fruits et les objets vestimentaires ont un visage. Le portrait en buste du peintre apparaît par une ouverture depuis une autre pièce, il tient un pinceau à la main et, ce qui paraît étonnant, il dessine une oeuvre évoquant les compositions calligraphiées de la fin de sa vie. Derrière lui, au fond de la pièce dans laquelle il se trouve, on devine un personnage féminin l'observant depuis une troisième pièce. Une autre ouverture de la chambre où se trouvent les modèles du peintre s'ouvre sur une composition marine : une plage à Honfleur..., la même plage à Honfleur que celle peinte en 1939 - 1940. Mais ce n’est pas tout. Dans cette pièce, la porte entrouverte laisse pénétrer un étrange personnage à tête de cheval, au regard tourné vers la mer… Cet autoportrait, où en fait le portrait lui-même est devenu un détail de la composition, trouve son autre titre, «La lettre», dans une enveloppe peinte sur le sol portant l’adresse du nouveau lieu où il venait d’emménager : 26 rue des Plantes à Paris. Si l'on s'attarde un peu sur le paysage extérieur, cette plage normande, on peut être surpris par un personnage filiforme à tête de cheval saluant un autre personnage… Il y a certainement là quelque chose qui relève du domaine de la prémonition, on s’en rendra compte par la suite.
Dix ans plus tard, peintre à présent célèbre et reconnu, Lucien Coutaud se rend en vacances d’été à Trouville. Il y avait été précédé par sa compagne venue en ce lieu aux environs du 14 juillet. Il est vraisemblable que la beauté de la côte normande dans cette région lui avait été vantée par Jean-Louis Barrault et Madeleine Renaud qui possédaient une maison de vacances entre Trouville et Honfleur. Le 7 septembre 1951 déjà, il s’était rendu l'espace d'une journée sur la côte normande, visitant les stations balnéaires de Deauville et Trouville et rencontrant Jean-Louis Barrault qui se trouvait en ce moment dans cette région. Denise Coutaud de plus aimait l’Océan. Il y a là deux raisons plutôt qu’une à la venue du peintre en Normandie. Coutaud, qui avait passé les étés 1948 et 1949 en Bretagne, à Belle-Ile-en-Mer, et composé en 1949 - 1950 une série de peintures représentant des plages à trous, se retrouve ainsi en août 1952 à Trouville, qu’il abrégera «Trou» dans ses agendas... Des plages à trous à Trouville, on est une fois encore dans la prémonition, à moins qu’il ne s’agisse que d’une simple manifestation du hasard objectif cher aux surréalistes...
Le 3 août 1952 donc, à 9 heures du matin, Coutaud quitte Paris pour se rendre en vacances à Trouville sur la côte normande. Il y arrive à midi sous la pluie. Ses notes personnelles sur son agenda de 1952 donnent alors de précieuses indications sur la chronologie de ce premier séjour au bord de la Manche, marqué par la pluie, les mouvements des marées, les promenades sur la plage, la contemplation des bateaux, son regard de voyeur sur les baigneurs et les baigneuses, marqué aussi par quelques rencontres, Irène Karinska (qui dirige à Paris un atelier de costumes de théâtre), Daniel Wallard (critique reconnu), Marie Bell (qui fut une inoubliable Prouhèze dans «Le Soulier de Satin» de Paul Claudel monté par Jean-Louis Barrault à la Comédie Française en 1943 dans des décors et costumes de Coutaud), et des déjeuners à la maison de campagne de Jean-Louis Barrault les 8 et 18 août.


Durant ce séjour, il peint neuf gouaches, toutes de format identique (comme chaque fois qu'il réalise des travaux picturaux en série en dehors de son atelier), de 33 x 41 cm pour ces dernières, composées soit en largeur, soit en hauteur : «Plage et oiseaux» (le 4 août), «Autre plage sans oiseaux» (le 5 août), «Le ballon abandonné» (le 6 août), «Le cerf-volant sur la plage» (le 7 août), «Plage avant la pluie» (le 9 août), «Il a été perdu un petit garçon» (le 11 août), «Plage le 15 août» (le 15 août), «Fragment des planches» (le 16 août), «Le dernier personnage s'en va» (le 17 août). L'importance de ces gouaches est considérable. Elles marquent le début d'une nouvelle période dans le style et la manière de peindre de l'artiste. Il suffit de les comparer avec les oeuvres peintes les mois précédents, des toiles sur le thème des Loirabres, aux couleurs verts sombres, pour s'en rendre compte. Ses nouveaux thèmes d'inspiration, ce sont à présent la mer, les planches, le sable des plages, un sable mouillé, creusé, prenant la forme de monticules, de remparts, de forteresses ou de châteaux sous les mains des enfants, le ciel, un ciel toujours changeant marqué par les gris et les verts, la forme des nuages, les villas irréelles en retrait de la plage, les baigneurs et les baigneuses... surtout les baigneuses avec leurs corps scindés à la taille, leurs fesses arrondies mises en valeur par d'étroits maillots... des baigneuses s'enfonçant dans le sable. Il y a là matière à tout un nouvel univers érotique. Et pour le moment le souhait le plus grand de Lucien et de Denise Coutaud, on s'en aperçoit, c'est de pouvoir acheter une maison au bord de la mer, entre Trouville et Honfleur. Denise Coutaud lui en fera la surprise pour son quarante-huitième anniversaire.

Le 13 décembre 1952, ils se rendent à Trouville. «Départ Trouville 9 h». Son cadeau ce jour là, c'est une habitation en ruine dominant la mer, découverte par sa compagne, avec un terrain descendant jusqu'au rivage, ceci juste à la sortie de Villerville en direction de Trouville. Il est 15 heures, et le nom du lieu s'impose à lui : «15 h Cheval de Briques ?». En arrivant à cet endroit, il avait vu tout d'abord un tas de briques dans la cour et un cheval à l'écurie... Le 13 décembre au soir, il dîne dans un restaurant de Trouville avant de passer la nuit dans un hôtel de cette ville. «Dîner anniversaire - couché Trou». Le 14 décembre, il se rend au «Cheval» à midi et de 15 heures à 17 heures 30. Le 15 décembre, il y retourne à 10 heures 30 avec un entrepreneur pour faire le point sur les travaux à réaliser. Il en apprend alors un peu plus sur l'histoire du bâtiment et du terrain alentour. Ce sont les communs avec les écuries, construits en briques, d'une demeure détruite sous l'Occupation. Avec ses talents de décorateur, il en fera une demeure insolite et l’écurie deviendra son atelier. Il venait d’avoir un véritable coup de foudre pour cette région et plus encore pour ce lieu. D’autres l’eurent avant lui.

L’attirance de Villerville, en particulier, pour des peintres, des écrivains ou encore des musiciens est en effet déjà ancienne, même si Villerville n’aura jamais la même célébrité qu’Honfleur. Au XIXème siècle le lieu, cité comme «un simple nid de pêcheurs sur une pittoresque falaise surplombant la mer», avait attiré et inspiré les peintres Charles Daubigny, Jules Héreau, Eugène Boudin, Henri Harpignies, André Thiollet, et un peu plus tard dans le même siècle Louis-Valère Lefebvre (élève de Harpignies et de Thiollet) et Ulysse Butin. On y vit au début du XXème siècle Raoul Dufy. Toujours au XIXème, les musiciens Gabriel Fauré et André Messager composèrent une «Messe des pêcheurs de Villerville»... Les peintres pour leur part trouvèrent leur inspiration dans le paysage marin avec la plage face à l’Estuaire de la Seine, les moulières, la vie des gens de la mer. Villerville fût également l’une des premières stations balnéaires à la mode.

Le 28 février 1953, Coutaud se rend à Villerville pour voir l’état d’avancement des travaux. Le «Cheval de Brique» trouve ce jour là dans son agenda son orthographe définitive avec «brique» au singulier et non au pluriel. Sans «s». Cela en sera l'écriture définitive.

Le 12 juillet 1953 à 9 heures, Coutaud retrouve la côte normande après un séjour à Florence où il avait réalisé les décors et costumes de «Médée», un opéra de Luigi Cherubini mis en scène par André Barsacq pour le XVIe Mai Musical Florentin, avec Maria Callas dans le rôle de Médée, puis quelques jours passés à Venise, sans omettre au retour de se rendre comme chaque année aux corridas de la Feria de la Pentecôte à Nîmes. Déjà dans sa peinture quelques Argonautes avaient précédé son arrivée sur la plage du «Cheval de Brique». On peut ainsi citer «Bientôt le cheval», une huile sur toile de 46 x 55 cm, nous montrant plusieurs Argonautes échappés de «Médée» installés sur cette plage, dont deux se faisant face debout sur des échasses... De même dans «Médée», des têtes de chevaux stylisées ou composées de briques avaient orné les tenues et les boucliers de certains gardes ou danseurs. Il pleuvait ce 12 juillet et les jours suivants. C'est un temps rêvé pour un peintre qui dit aimer la pluie. Les trois premières nuits, Coutaud les passe à Trouville à l'hôtel Régence. Le 15 juillet, il emménage au «Cheval de Brique» et ce soir là, il y passe sa première nuit. Il sympathise avec son voisin le plus proche, l’acteur Fernand Ledoux, déjà connu dans les milieux du théâtre. Il peint plusieurs gouaches et deux toiles. Il peint également le portail extérieur de sa propriété sur lequel il posera une «enseigne» au nom du «Cheval de Brique». Une photographie datée du 3 septembre immortalisera le peintre le pinceau à la main face au portail... Il restera en ce lieu deux mois au total. Ce premier été passé au «Cheval de Brique», il est en permanence subjugué par l'insolite beauté du site, les mouvements des marées, les étranges variations climatiques. Les gouaches réalisées durant cette période sont de toute beauté, et plus encore les deux grandes toiles peintes en août et début septembre : «Les environs du Cheval de Brique» et «Corrida du Cheval de Brique».

«Les environs du Cheval de Brique», une toile de 81 x 100 cm, nous montre sur une plage, face à l'estuaire, au moment de la marée descendante, des baigneuses aux curieux bonnets de bain, à la taille articulée, aux étroits maillots mettant leurs fesses en valeur. Certaines s'enfoncent dans la mer ou le sable, d'autres se tiennent debout. Toutes ont des poses maniérées. Celle à gauche à l'avant-plan tient d'une main un ballon posé sur le sol. La mer ressemble à une toile qui se déplie ou se replie. A l'horizon se profile l'estuaire avec la pointe du Havre métamorphosée par l'imaginaire de l'artiste.

«Corrida du Cheval de Brique», une toile de 89 x 116 cm, transpose les corridas nîmoises sur la plage du «Cheval de Brique». On remarquera la plage travaillée comme l'eau la travaille, avec les moulières, les flaques laissées par la dernière pluie ou la dernière marée. Sur la droite, le peintre représente deux scènes de corrida se répondant en écho. Sur la gauche se tiennent des baigneurs et des baigneuses, certains en d'étranges groupes. A l'horizon se profile l'estuaire et sur la mer, pas très loin du rivage, on voit deux bateaux aux voiles faites d'élytres d'insectes ou de coquillages.

Le «Cheval de Brique», Coutaud le représente cet été, composé de briques, à plusieurs reprises sur des morceaux d'ardoise, de plâtre ou de marbre. Parfois une tête seule de cheval est représentée. D’autres fois, l'artiste représente des hommes-chevaux. L’une de ces compositions, un cheval peint sur ardoise, est offerte le 9 août en gage de bon voisinage à son voisin Fernand Ledoux avec cette dédicace : «Aux Ramiers les amitiés du Cheval de Brique». «Les Ramiers» sont, il faut le préciser, le nom de la propriété des Ledoux. Une composition un peu similaire, sur ardoise et marbre, de 53 x 40 cm dans ses plus grandes dimensions, datée du 7 septembre 53, sera pour sa part accrochée à l'entrée de son atelier normand. Le 23 décembre, on le revoit au «Cheval de Brique» pour les fêtes de fin d'année. En ce lieu il se repose, laissant le temps passer. Tout au plus le verra-t-on le 29 décembre déjeuner à Honfleur.

En mars 1954, Coutaud commence à peindre une importante toile pour la Biennale de Venise de cette année à laquelle il est invité. Il s'agit de «Plage de l'éroticomagie», une grande toile de 162 x 130 cm. La première étude pour cette peinture est datée du 25 février. Il s'agit d'un dessin au crayon qui ébauche les grandes lignes de la composition avec une prédelle et les principaux personnages. Quelques annotations donnent des renseignements sur les couleurs («ciel et sol dans les bleus roux de fin de jour, couleurs très vives sur les costumes») et les différents titres envisagés : «Eroticomagie», «Vues éroticomagiques», «Plage de l'éroticomagie». En marge, Coutaud note aussi au sujet du personnage du premier plan : «Il avait dessiné un cheval», et ce personnage qui venait de dessiner un cheval marque ainsi de façon manifeste le lieu même de l'imaginaire du peintre. Cette toile qui sera achevée en avril constitue un développement très personnel du thème des baigneuses, un thème on ne peut plus classique dans l'histoire de la peinture. Mais, et c'est là tout l'art de Coutaud, son sens de la métamorphose, celles qui au premier abord paraissaient être des baigneuses seraient peut-être tout simplement des mannequins ou des automates. On en remarque les corps articulés, en voie d'être scindés, morcellés, les têtes étranges ressemblant à des conques ou des coiffes, abritant d'autres personnages, et on pourrait évoquer leur lointaine parenté avec les mannequins de Giorgio de Chirico. Au dixième Salon de Mai, en mai, il présente une toile très similaire, de 116 x 73 cm, titrée «Eroticomagie». Le 10 juillet 1954, il quitte Paris sous la pluie pour rejoindre le «Cheval de Brique» lui aussi sous la pluie. Au «Cheval de Brique», il peint durant l’été quelques gouaches et une grande toile intitulée «Corrida éroticomagique». Sur cette toile, Coutaud transpose, comme il l'avait fait dans «Corrida du Cheval de Brique» de 1953, de manière irréelle, les corridas nîmoises sur la plage du «Cheval de Brique». Il ébauche aussi en ce lieu «Eroticomarine», une toile qu'il considérera par la suite comme son oeuvre la plus importante, son œuvre majeure. «Eroticomarine», 146 x 114 cm, est datée de novembre 1954. L'oeuvre elle-même représente la plage du «Cheval de Brique» envahie d'étranges baigneuses aux corps articulés, comme s'il s'agissait de mannequins ou d’automates, mais le doute demeure. Au lointain se profile l'estuaire de la Seine, la pointe du
Eroticomarine, huile sur toile, 146 x 114 cm, 1954. Collection particulière.Havre. Sur l'océan on aperçoit quelques bateaux. Le peintre nous peint la plage, une plage travaillée par les caprices des marées, avec ses moulières, les algues, les épaves, les flaques d'eau qui s'amoncellent ici et là. Dans le ciel, deux points noirs sont en train de disparaître. C'est cependant surtout l'obsession des détails anatomiques, ces fesses et ces cuisses proéminentes, objets des désirs masculins, ces corps agglomérés, tels des excroissances de chair, aux corps des deux personnages principaux (on pouvait déjà en remarquer sur les personnages des deux grandes toiles peintes les premiers mois de l'année), les gestes maniérés, qui nous fascinent. Ces gestes maniérés, Coutaud les avait recherché dans les oeuvres des peintres maniéristes, en particulier ce peintre inconnu de l'Ecole de Fontainebleau qui peignit Gabrielle d'Estrée et une de ses soeurs. Il les retrouvait dans le comportement des toreros lors des corridas, cette autre forme de spectacle, «là où vraiment la mort est la mort et le sang, le sang».

Il n’est pas impossible que ce soit cet été 1954 que Coutaud réalise pour son voisin du «Cheval de Brique», Fernand Ledoux, la décoration d’une grande porte en miroirs, en trois parties, chacune découpée en plusieurs carreaux, avec des peintures fixées sous verre à l’avant reprenant des détails de trois de ses tapisseries : «Orphée et les Muses» de 1942, «Le piano des villes», «La harpe des eaux» de 1943 : visages féminins (tête de la sirène, Muse de la peinture, femme-barque...), feuillages, coq renversé, harpe, vielle, piano, tête de chat... Le caractère plutôt gauche des visages peut s’expliquer par la complexité de la réalisation des fixés sous verre dont on sait qu’ils sont peints à l’envers et par le dilettantisme dont il aura fait preuve pour ce travail. Sur la tête à la base de la vielle, l’artiste avait fait figurer un pigeon ramier...

En décembre 1954, le Théâtre des Arts à Paris affiche à son programme une pièce de Madame Gloria Alcorta, «Le Seigneur de San Gor», dans des décors et costumes de Coutaud. Le lieu est une maison de plaisir, une maison de prostitution, et si l'on observe de manière un peu plus détaillée le décor, on peut remarquer dans le salon, à gauche, près de l'escalier qui monte à l'étage, un tableau accroché : une oeuvre de Coutaud... une composition marine avec le bateau fait de coquillages, d'élytres d'insectes ou de nageoires de poissons, on ne sait, qui figure dans ses toiles récentes, en particulier «Eroticomarine» dont il parait être un détail. Il s’agit de toute évidence de la plage du «Cheval de Brique».

En avril 1955, Coutaud entreprend au «Cheval de Brique» une grande toile de 146 x 114 cm qu’il intitule «La plage du Cheval de Brique». La préparation de cette toile, il l'évoque dans une carte postale représentant «les parcs à moules de Villerville sur Mer» adressée à Rose Adler.

«[...] Ici je prépare une grande toile en regardant la mer, ce pays a beaucoup de charmes.
J'espère avoir bientôt le plaisir de vous voir.»

La plage du Cheval de Brique, huile sur toile, 146 x 114 cm, 1955. Collection particulière.La composition représente cette plage que nous commençons à connaître, avec au premier plan deux grands personnages, l'un masculin, l'autre féminin, en conversation. Leurs gestes sont maniérés. Leurs visages sont remplacés par des conques (ce pourrait aussi être des coiffes normandes) dans chacune desquelles se tient un petit personnage debout. Les corps des deux grands personnages sont segmentés d'une manière plutôt inhabituelle. La partie abdominale est remplacée par ce qui pourrait être des cartes postales. Elles reproduisent le même lieu de cette peinture avec des scènes différentes : l'une avec des baigneurs, l'autre avec une tauromachie. L'habillement des personnages rappelle celui de l'habit d'Arlequin par la juxtaposition de morceaux d'étoffes aux couleurs vives, coupés en bandes ou en losanges. Les jambes de l'un d'eux portent en relief d'autres corps comme dans les grandes toiles de l'année précédente. Sur la plage à marée basse, des baigneuses délaissent leurs jeux inutiles en prenant des poses figées pour l'éternité. Au premier plan, un ballon abandonné comme une épave pourrait être le sujet de la conversation. Sa position est délimitée par les pieds des deux personnages s'enfonçant dans le sable et par deux mains mystérieuses, l'une dont les doigts pénètrent le sol comme pour le creuser, l'autre paraissant crucifiée par un coquillage. Au loin on distingue quelques bateaux et la pointe de l'estuaire. Et subitement on s'aperçoit que ce ballon ou cette épave est semblable aux têtes des baigneuses...

L’été 1955 au «Cheval de Brique», Coutaud se consacre, comme ce le sera toujours, à la peinture et à la lecture. Il rencontre souvent le peintre Roland Oudot, lui aussi en vacances dans la région. Le 14 août, il assiste à la Cavalcade de Villerville. Parmi les oeuvres peintes durant ce séjour, on remarquera surtout «La plage des dames», une huile sur toile de 54 x 73 cm, composée du 10 au 18 août. Le décor est toujours le même. Un ciel nuageux, troué de bleu, surplombe l'horizon. La plage ocellée de flaques d'eau salée et la mer aux verts lumineux est le territoire de nouvelles baigneuses, aux formes beaucoup plus élancées, à la morphologie beaucoup plus humaine. On ressent l'influence des peintres maniéristes. Ces baigneuses, Coutaud nous les montre de dos, vêtues du haut jusqu'à la taille de maillots moulants aux rayures verticales ponctuées, on en remarque les oppositions de couleurs, et dévoilant leurs fesses et leurs jambes en des variations attirantes et troublantes. L'une d'elles est assise sur un rocher. Une autre, toujours de dos, se baisse, jambes tendues, cuisses écartées pour ramasser on ne sait quoi... Peut-être l’une des nombreuses pierres aux formes mystérieuses qui jonchent en ce lieu le sable, ou encore des coquillages…

A la fin de l’année, Coutaud est le décorateur, à la Comédie Française, de la «Jeanne d’Arc» de Charles Péguy mise en scène par Jean Marchat. Dans le décor de «Domremy», la première pièce de la trilogie, on remarque une réminiscence du profil de l’Estuaire. L’actrice Claude Winter tient le rôle de l’héroïne. Le peintre nous en laissera l’image en une huile sur toile de 92 x 73 cm commencée au «Cheval de Brique» le jour de Noël.

L’été 1956, il fréquente sur la côte normande, non seulement Roland Oudot, mais également le peintre Raymond Legueult ainsi que le scénariste Jean Aurenche qu’il connaissait depuis le début des années 30. Il peint «Pêcheurs le dimanche», une toile 114 x 146 cm, inspirée par les pêcheurs de Villerville. Cette toile sera présentée à l'exposition «Ecole de Paris 1956» à la Galerie Charpentier à Paris en octobre. Ce mois d’octobre précisément, il achève de peindre un carton de tapisserie titré «Les poissons des trois lunes». Le dessin préparatoire au fusain et à la gouache était daté du 30 août de cette année avec pour titre «Les pêcheuses de lunaires». D’autres compositions de cette année sont également inspirées par les pêcheurs : «La pêche par temps rose», «Le pêcheur d'août», «Pêcheuse dodue»…
Jeune fille au bateau, huile sur toile, 130 x 97 cm, 1957. Collection particulière.Au treizième Salon de Mai, en mai 1957, Coutaud présente une grande toile de 146 x 114 cm titrée «Le taureau blanc de la plage du Cheval de Brique». Elle est inspirée par son travail de graveur à l’eau-forte en 1956 pour illustrer «Le Taureau blanc» de Voltaire. Il s’agissait d’une commande des Bibliophiles Comtois. On connaît de cette peinture une esquisse gouachée datée du mois de mars sur laquelle on remarque déjà le grand personnage aux banderilles sur le corps duquel sont agglutinés les corps nus de petits personnages féminins, beaucoup mieux observables sur la toile. En analysant la toile, on sera subjugué par le groupe des deux personnages féminins sur la droite, l'un en jupe de dentelle judicieusement rabaissée tenant d'une main l'épée du matador et de l'autre la muleta, l'autre, la moitié inférieure du corps entièrement nue, enfoncée à mi-cuisse dans le sable de la plage. On remarquera les coiffes étranges des trois principaux personnages, centrées par un poisson se substituant aux visages. On pourrait parler à leur sujet de visages creux... On remarquera enfin à l'arrière, un torero déployant sa cape, comme un vêtement que l'on ouvre par l'avant, face à un taureau fait de corps composés représenté de dos.

Le 20 juillet 1957, il achève de peindre sa première toile du nouvel été, une toile de 73 x 92 cm intitulée «Jour férié au Cheval de Brique». Il s’agit de la première représentation det sa résidence normande dans sa peinture. On la reverra immédiatement après dans une nouvelle toile titrée «A marée basse la plage du Cheval de Brique». Parmi les autres oeuvres peintes ces derniers mois, on remarque de nombreuses scènes tauromachiques avec des taureaux composés de corps entremêlés livrant leur dernier combat sur des plages plus ou moins désertées. Dans «Quite près de l'estuaire» (ou «Quite proche de l'estuaire»), où l'on voit un torero tenant une cape ornée de pensées, on peut de plus observer, signe de danger, un serpent, le serpent qui le 10 juillet de cette année s'était introduit au «Cheval de Brique». Il s’agissait d’une couleuvre et Coutaud dans sa peinture craint de moins en moins d’y faire entrer des faits anecdotiques. Dans ses compositions on découvre aussi le «Château Fadaise» (le plus souvent orthographié «Château Fadèse»), un hôtel particulier nîmois de la fin du XVIIème siècle dont l'architecte s'inspira dit-on de la Maison Carrée (ce bâtiment était longtemps resté à l'abandon et on le disait hanté), les deux arbres du «Cheval de Brique», enfin des poissons et des navires, travaillés eux aussi à la manière d'Arcimboldo. Et tousces thèmes vont continuer à se rencontrer, se juxtaposer, s'imbriquer entre eux...

Adorno dédié au Sar Péladan, huile sur toile, 97 x 130 cm, 1957. Musée de Grenoble.En octobre 1957, il présente à l'exposition «Ecole de Paris 1957», à la Galerie Charpentier, une toile de 130 x 97 cm peinte durant l’été et titrée «La jeune fille au bateau». Cette toile très colorée est on ne peut plus remarquable. Elle nous montre une jeune fille au curieux visage, pieds nus, debout devant l'Estuaire, tenant dans ses mains un bateau fait de corps composés, similaire à ceux que l'on avait vu dans une autre toile de cet été titrée «Le pavillon violacé». On peut être intrigué par des réminiscences de structures orificielles, triangulaires ou circulaires, imbriquées aux vêtements, laissant supposer que la jeune fille au bateau est vêtue de lambeaux de certaines de ses peintures des années 1947 - 1948. De l'une des structures triangulaires sort une terminaison végétale. On peut deviner sa provenance en observant attentivement sur la droite les deux arbres du «Cheval de Brique», ces deux arbres accouplés, érotisés, que l'artiste a peint à de nombreuses reprises depuis le début de l'année. Ils ont même été le sujet d'une eau-forte, précisément intitulée «Les deux arbres du Cheval de Brique». Au loin sur la plage, au bord de la mer, se déroule une corrida. Une prédelle en partie inférieure de la composition nous montre dans sa partie centrale un étrange poisson, préfiguration des poissons d'octobre et des suivants, et sur les côtés des embarcations on ne peut plus érotiques. On remarque enfin, signe de la passion de Coutaud pour l'ésotérisme, que la jeune fille au bateau porte sur son front la marque de Lilith, la première Eve. Le visage de «La jeune fille au bateau» n’est cependant pas celui d’une inconnue. Comme certains autres visages ou certaines têtes peints en 1957 - 1958, il est inspiré par le visage enjoué et rieur de la fille de son employée de maison à Villerville. Peut-être en retrouvera-t-on un jour un témoignage photographique ?

En mai 1958, il présente au quatorzième Salon de Mai une grande toile, de 146 x 114 cm, intitulée «Dimanche des Rameaux» (ou «Habitants du Château Fadaise»). Cette peinture amorce, cela mérite qu'on le fasse remarquer, la fin des poissons de l'Estuaire ou du Château Fadaise qu’il peignait depuis le mois d’octobre. Sur le paysage vert sombre de la côte normande aux alentours de Villerville, avec la mer à l'horizon, se détachent deux importants personnages. Ce sont deux des habitants du Château Fadaise dont on connaît depuis quelques mois les visages caractéristiques : visages isolés, visages superposés, et cette fois visages accolés tête-bêche. Chacun d’eux tient d'une main un rampan nîmois et chacun d'eux piétine un poisson fait de corps composés. Le personnage de gauche qui pose son autre main sur l'épaule de son semblable dévoile en fait ses vrais sentiments en lui marchant sur le pied, ce qui peut être interprété comme une marque d'humiliation. D'autres poissons s'insèrent dans les téguments, sont incorporés aux corps de ces deux personnages. Un personnage à la tête substituée par un poisson, d'autres petits personnages, un soufflet enfoncé dans le sol, retiennent aussi notre attention. La symbolique chrétienne du poisson doit alors être rappelée parce qu'elle nous amène à analyser cette toile dans son contexte religieux, le Dimanche des Rameaux ou Deuxième dimanche de la Passion.

L’été 1958, Coutaud commence par peindre de curieux oiseaux : «Oiseaux fleuris», «Autres oiseaux fleuris», «Oiseaux migrateurs»… Ces oiseaux aux têtes substituées par des fleurs (des pensées, des pavots ou des iris) sont la transposition picturale des oiseaux qui vivent en liberté autour du «Cheval de Brique». Nous pouvons penser que le peintre s’est surtout inspiré des mouettes qui envahissent en grand nombre la plage et les rochers du lieu de leurs cris. Ils rappellent aussi, trente ans après, le souvenir des débuts de l'artiste, son travail de décoration pour «Les Oiseaux» d’après Aristophane au Théâtre de l’Atelier de Charles Dullin. L’une des toiles sur ce même thème, «Les pavots d'août», une toile de 130 x 97 cm, peinte début août, nous fait retrouver la jeune fille que nous connaissons, immobile, l'abdomen fusionné avec un poisson. Trois oiseaux à têtes de fleurs, des pavots pour être précis, viennent se poser sur elle. La scène se passe toujours dans le même décor marin. Un soufflet est enfoncé dans le sol et notre regard est irrémédiablement attiré vers un cèdre, le cèdre du «Cheval de Brique», en haut à gauche de la composition, face à la mer. Immédiatement après cette composition, il peint «Les soeurs du cèdre», une toile de 81 x 100 cm. Une autre toile importante peinte à la suite, ce même été, est intitulée «Les dames de la grande marée». Cette toile de 81 x 100 cm nous montre sur la plage du «Cheval de Brique» un groupe de femmes aux corps creux, aux longues robes, aux têtes remplacées par des pensées...

A la fin du mois de décembre 1958, Coutaud peint à la gouache, au «Cheval de Brique», ses premières femmes-fleurs : «Les trois pensées», «Mademoiselle Pensées de décembre».

Elles aiment le vent, huile sur toile, 100 x 81 cm, 1959. Collection particulière.A ces gouaches succèdent en 1959 les huiles sur toile sur le même thème : «Elles aiment le vent», 100 x 81 cm,
achevée en février, «Les demoiselles d'Avril», 114 x 146 cm, peinte au «Cheval de Brique» pendant les vacances de Pâques et présentée au Salon de Mai 1959. Toujours en avril, «Poids et mesures» de René de Obaldia est publié par la société de bibliophiles «Les Impénitents» avec en frontispice une eau-forte de Lucien Coutaud représentant un oiseau à tête de fleur. Ce livre est aussi illustré de gravures de Jean Peschard. En mai, la Galerie David et Garnier, 6 avenue Matignon à Paris, lui consacre une importante exposition. Il y figure des toiles telles «Pêcheurs le dimanche», «La pêche par temps rose» de 1956, «A marée basse, la plage du Cheval de Brique», «Le pavillon violacé», «Quite près de l'Estuaire», «Adorno dédié au Sar Péladan», «La jeune fille au bateau», «Le poisson d'octobre» de 1957, «Les quatre iris» (toile dans laquelle on remarque les toits de Villerville), «Les soeurs du cèdre» de 1958, ainsi que les oeuvres récentes sur le thème des oiseaux à têtes de fleurs et des femmes-fleurs.

Les toiles représentant des femmes-fleurs ont toutes été composées les premiers mois de cette année. Sur fond de paysage marin, celui de l'Estuaire, Coutaud nous montre de très beaux et fragiles personnages, aux couleurs éclatantes, composés de pensées ou encore de pensées et d'iris... Ce sont les fleurs qu'il peut cueillir dans son jardin du «Cheval de Brique». C'est aussi simple que cela, même si l'on peut faire remarquer que nous sommes en ce lieu, entre Trouville et Honfleur, sur la côte fleurie. C'est cependant, pour ces pensées et ces iris, le double sens de leur contenu sémantique qui nous intrigue le plus. Coutaud comme souvent joue avec le sens des mots, comme il joue avec les formes et les couleurs... Pensées, iris... Tout cela évoque la mémoire, le souvenir, un certain regard. Et il y a comme toujours, dans tout cela, beaucoup de poésie. A cette exposition à la Galerie David et Garnier, Coutaud présenta également l’une de ses toutes premières œuvres inspirées par le catharisme : un «Ange cathare», peint en janvier, apparaissant sur la plage du «Cheval de Brique»… Raymond Roussel aurait aimé cela. «Les demoiselles d’Avril» entreront au décours de cette exposition dans la collection de la Vicomtesse Marie-Laure de Noailles, rejoignant «Corrida éroticomagique», sa précédente acquisition. Elle soutient depuis quelques années déjà le travail de Lucien Coutaud de la même manière qu’elle avait par le passé soutenu Salvador Dali ou encore Balthus.

En juin 1959, retrouvant le «Cheval de Brique», il peint une toile titrée «Apparition du toroiris». Encore une apparition… Le «toroiris», on le verra orthographié par la suite «toro iris» et encore «taureauiris». En juillet, il participe au Onzième Salon des Artistes Honfleurais, sans toutefois se rendre au vernissage. En décembre, il en est toujours à peindre des compositions représentant des femmes-fleurs : «Les deux charmantes» (16 x 22 cm), «Elles viennent à marée basse» (19 x 24 cm)... Il est vrai que le public apprécie ce thème. «Veille de Noël», une gouache composée le 24 décembre, nous montre deux femmes-fleurs composées de pensées et d'iris, dans une harmonie de bleus, de jaunes, de rouges éclatants et de verts, venant depuis la mer à notre rencontre. L'oeuvre à peine terminée éclaire en bonne place le repas que Coutaud prend ce soir là seul avec son épouse. Le 31 décembre, la dernière gouache de l'année est intitulée «Fin d'année». Elle représente trois femmes-fleurs, toutes trois faites de pensées, sur la plage du «Cheval de Brique». L'une des deux du premier plan se baisse dans le geste de ramasser un objet. On pense à un coquillage, mais on n'en sera jamais vraiment certain. Toujours l'ambiguïté, l'équivoque, ce qui est une constante dans l’œuvre de l’artiste. Sur le même thème encore, il peint au début de l’année 1960 trois cartons de tapisseries, «Jardins exotiques I, II, III», pour le Paquebot France.

En janvier 1961, l’un de ses amis lui fait parvenir une fourche de Sauve. Sauve est un village méridional qu’il avait découvert au mois de septembre de l’année précédente et qui est connu pour ses arbres à fourches et le château de Roquevaire. Cette fourche rejoindra le «Cheval de Brique» inspirant une toile de 46 x 38 cm représentant trois personnages debout, tenant chacun une fourche, sur la plage aimée de l'artiste. Elle est titrée «De Roquevaire ils vinrent ici»...

Au Salon de Mai, il présente une importante toile, de 130 x 162 cm, achevée en mars de cette année, titrée «Taureaumagie cathare». De la même manière qu'il avait transposé les tauromachies nîmoises sur la plage du «Cheval de Brique», Coutaud en représente une au pied du pog de Montségur, au lieu même du bûcher cathare. Nous assistons à la mise à mort du taureau. Des femmes-fleurs faites de pensées et d'iris arrivent de toute part pour assister à cette étrange cérémonie. Deux d'entre elles portent comme une jupe la cape écarlate du premier acte des corridas. La torera, il s’agit en effet d’un personnage féminin, est des leurs. Sa muleta n'est autre que la pensée qui constituait ou cachait auparavant la partie inférieure de son corps. Nous sommes à l'heure où les femmes-fleurs retrouvent un corps pour devenir toreras à Montségur. Plus étonnant encore, le corps de la torera est marqué dans sa chair de l'empreinte laissée par le végétal.... Coutaud nous entraîne de métamorphose en métamorphose.

Quelques dames de Deauville, huile sur toile, 146 x 114 cm, 1961. Collection particulière.Début juillet, il achève une gravure à l’eau-forte titrée «Belles de mer». Cette gravure lui est commandée par Pierre Cailler pour la Guilde Internationale de la Gravure. Il peint à la suite une toile de 46 x 55 cm sur le même thème avec le même titre. Cette toile, comme la gravure, est inspirée par les planches de Deauville et les baigneuses qui s'y promènent. Il aime beaucoup à cette époque se promener sur les planches de cette célèbre station balnéaire en observant les baigneuses plus ou moins dévêtues. Les chairs occultées l'obsèdent de plus en plus et il compose dans ce contexte une grande toile de 146 x 114 cm intitulée «Quelques dames de Deauville». Maurice Tillier, qui était venu lui rendre visite le 16 juillet 1961, en parle dans un article publié dans «Le Figaro Littéraire» : «Sur le chevalet, une toile en cours de fignolage : les Planches de Deauville. Un élégant ballet de baigneuses désincarnées mais pourtant fessues. J'admire. Coutaud se tait»... Cet article est illustré d'une photographie de l'artiste en kimono japonais au «Cheval de Brique», sa palette et un pinceau à la main, devant l'ébauche de sa toile. Il est vrai que cette peinture une fois achevée est remarquable. Le choix des couleurs, dans des tons adoucis, inspire un sentiment de détente, de quiétude. Les dames de Deauville, dont on remarquera les visages troués, effilochés, dévoilent pour l'artiste ce qu'habituellement elles cachent au regard des autres tandis que des lambeaux de vêtements déclinant l'image florale de la pensée couvrent les autres parties de leur corps. Et ce qui nous rattache au réel, ce seront les planches sur lesquelles elles se promènent, les mats avec leurs oriflammes, la plage et les cabines des baigneurs ou des baigneuses, la mer à l'horizon, un ciel d'été... Les planches, on pourrait aussi le faire remarquer, nous renvoient au spectacle, à la scène... Il y a là comme souvent dans l'oeuvre du peintre, tout un travail sur la signification des images, le double sens de leur contenu sémantique, tout un travail métaphorique.

En août, Coutaud peint une importante gouache dans les tons jaune-orangés, de 36 x 45 cm, représentant
une nouvelle fois «La plage du Cheval de Brique», cette fois totalement déshabitée. Mais cela ne durera pas. L'observation d'un faucheur venu faucher les herbes de sa propriété lui inspire ce mois de nouveaux personnages : les faucheurs de vagues. La première toile sur ce thème, une toile de 55 x 38 cm, est intitulée «Faucheurs de vagues». Le 21 août, il achève de peindre «Autres faucheurs de vagues», une toile de 61 x 38 cm. Le 27 août, il achève de peindre «Trois faucheurs de vagues», une toile de 55 x 46 cm. D'autres oeuvres représentant des faucheurs, affûtant leurs faux ou fauchant les vagues de la mer, seront composées cette année encore : «Faucheurs au crépuscule», une toile de 24 x 41 cm, «Les faucheurs de vagues», une grande toile de 114 x 146 cm... On ne sait si pour l'artiste ce fut conscient ou inconscient, toujours est-il que lorsque nous voyons ces peintures, à l'image des faucheurs de vagues se superpose l'image traditionnelle de la Mort avec sa faux et son linceul.

En novembre, il peint une toile de 73 x 92 cm représentant les planches de Deauville, la plage avec ses tentes, totalement déshabitées. Elle est intitulée «Novembre». C’est aussi une manière de la dater.

En 1962, on le revoit souvent au «Cheval de Brique». Vers la fin de l’année, il peint quelques compositions inspirées par la venue d’un cirque à Villerville : «Le cirque», une gouache de 36 x 48 cm, «Cirque de l’Estuaire», une toile de 73 x 92 cm représentant des hommes chevaux portant des banderilles et courant autour d’un chapiteau, «Le cirque vient plus tard», une toile de 38 x 61 cm, sur le même thème…

En mars 1963, Coutaud se rend au Japon à l’occasion d’une exposition de ses œuvres à la Galerie Nichido de Tokyo. L’exposition, essentiellement constituée d’œuvres inspirées par l’Estuaire, a un succès considérable. Elle est également présentée à Osaka et à Nagoya. Le 20 juillet 1963, le peintre assiste à Honfleur au vernissage du Quinzième Salon des Artistes Honfleurais. Il héberge ce soir là le peintre japonais Takanori Oguiss. Le 9 août 1963, il fête les dix ans du «Cheval de Brique». Pour cet événement, il ouvre les portes de son atelier. Parmi les personnes qui lui rendent visite, en tout une cinquantaine, on peut remarquer Roland et Valentine Oudot, Raymond Legueult et son épouse, Daniel Wallard, Jean Aurenche, Pierre Bost, madame Mayer, la famille d'André Warnod, les Goulet, les Ledoux, le caricaturiste Jean Effel, les Anchoréna, l'abbé Levasseur curé de Villerville, deux représentants de «La cote des peintres»... Parmi les oeuvres composées cet été là, on remarquera «Il vient toujours», une toile de 38 x 61 cm achevée le 3 juillet, représentant le «Cheval de Brique» sous sa forme imagée non loin de quelques dames, «Dames de juillet», une toile de 60 x 92 cm achevée le 7 juillet, «Les dames blanches du phare», une toile de 100 x 81 cm achevée le 16 juillet, faisant apparaître trois dames blanches près du petit phare d'Honfleur, «Encore ce phare», une toile de 73 x 60 cm achevée le 15 août et représentant d'autres dames similaires au bord de la mer avec au loin le petit phare d'Honfleur. Une autre toile, de 81 x 100 cm, datée du 24 juillet, intitulée «Quelques fois ces phares venaient», transposait le petit phare d'Honfleur et le phare de Trouville non loin du cèdre du «Cheval de Brique». On connaît aussi de cette année plusieurs compositions représentant des dames du sable : «Dames du sable», une toile de 50 x 73 cm, «Autres dames du sable», une toile de mêmes dimensions.

Trouville par beau temps, huile sur toile, 65 x 81 cm, 1964. Collection particulière. En avril 1964, Coutaud participe à l’exposition «Le Surréalisme - Sources, Histoire, Affinités» organisée par Patrick Waldberg à la Galerie Charpentier à Paris. Il y présente «Tête et iris» de 1958. Le 11 juillet, il achève de peindre sa première toile de l'été 1964, une toile de 73 x 60 cm intitulée tout simplement «Onze juillet». Depuis quelques mois, les titres de ses compositions n'ont plus grande importance. Sa peinture à présent commence à perdre son caractère intellectuel pour renouer avec des sensations, des impressions provoquées par les images des lieux qu'il affectionne et ce n'est pas sans raisons qu'il privilégie la couleur au détriment des formes. Le 25 juillet, il achève de peindre «Les trois balles de juillet», une toile de 81 x 100 cm. Le même soir, on le voit au Seizième Salon des Artistes Honfleurais. Le 9 août, il achève sa sixième toile de l’été : «A marée basse», une toile de 97 x 130 cm. Le 24 août, il peint une toile de 33 x 55 cm intitulée «Autre Trouville». Le 30 août, il achève une neuvième toile : «A marée basse dames normandes», une toile de 46 x 55 cm nous faisant découvrir pour la première fois dans sa peinture des «Normandes» composées des maisons à pans de bois caractéristiques de la Normandie, de la même manière qu’il avait composé précédemment des «Nîmoises». Ce n'est cependant pas tout à fait une première puisque l'une des deux gravures réalisées pour l'édition de luxe de la monographie que Pierre Mazars lui consacre cette année, celle intitulée «Normande», anticipait ce thème. Le 31 août, sa dixième toile, une toile de 46 x 33 cm intitulée «Une fin d'été», nous présente de nouvelles «Normandes». Le 1er septembre, il compose une petite toile de 16 x 22 cm intitulée «Villervilloise». Il s'agit encore d'une «Normande»...

L’été 1965, il poursuit sa série de compositions sur le thème des Normandes et il crée les «Damarbres» inspirées par le cèdre du «Cheval de Brique» : «Deux damarbres», une toile de 38 x 46 cm, «Damarbres et Chevalier du Temple», une toile de 65 x 92 cm, «Août et ses damarbres», une toile de 60 x 73 cm, «Quatre damarbres de Septembre», une toile de 73 x 60 cm, certainement sa meilleure toile sur ce dernier thème. Le cèdre du «Cheval de Brique» ne finira pas de nous étonner.

Elle était normande, huile sur toile, 130 x 97 cm, 1965. Fonds Coutaud. 1966, les étés se suivent et ne se ressemblent pas. Le 13 juillet, il compose une «Jumenarbre», une toile de 46 x 38 cm. Le 14 juillet, il peint une toile de 46 x 38 cm intitulée «Lys estival». Le 21 juillet, il achève de peindre «Plage des métamorphoses», une toile de 73 x 92 cm. Cette toile, dans les gris-bleutés et les verts tendres, nous fait découvrir deux femmes à tête de cheval, paraissant assises sur des sièges invisibles sur les planches de Trouville, entourées de deux chevaux dont les têtes sont remplacées par une masse informe. On pense à des centaures et des centaures inverses, mais comme toujours avec Coutaud, on n'est jamais sûr de rien. Reste à admirer la beauté du paysage marin, la plage, la mer et le ciel, un mât avec un fanion vert adorné d'un point noir, les planches, quelques constructions aux toits pointus... Le 23 juillet, il assiste à Honfleur au vernissage du Dix-huitième Salon des Artistes Honfleurais. Le 25 juillet, un pigeon voyageur fatigué vient se poser au «Cheval de Brique». Coutaud aura tout le loisir de l'observer car ce dernier restera quelques jours en ce lieu. Le 26 juillet, il achève de peindre «Deuxième métamorphose», une toile elle aussi de 73 x 92 cm, le pendant de «Plage des métamorphoses». Le 29 juillet, il achève de peindre «Pigeon du 25 juillet», une toile de 73 x 92 cm inspirée par le pigeon qu'il avait recueilli. Il compose ce même jour une petite toile de 22 x 16 cm intitulée "Un chevalpigeon"... Le 4 août, le pigeon enfin rétabli quitte le «Cheval de Brique». «17 heures - départ du pigeon». Le même soir, Coutaud dîne chez Fernand Ledoux. Le 5 août, il achève de peindre «La plage aux pigeons», une toile de 100 x 81 cm... Le 31 août, il achève de peindre «Elle pouvait s'élever» (aussi titrée «Elle pouvait s'envoler» sur son agenda de 1966 à la date de ce jour), une toile de 97 x 130 cm représentant sous un ciel orangé une scène de lévitation sur les planches de Trouville. L'oeuvre est d'un érotisme troublant, mais ce qui sur cette toile attire le plus notre attention, c'est un détail : la présence du pigeon sur les planches face à un personnage féminin assis, tout habillé de violet, composé en quelques coups de pinceau, un personnage totalement énigmatique. Le 5 septembre, il compose «Navire particulier à l'estuaire», une toile de 60 x 73 cm encore inspirée par le pigeon.

Pendant les vacances de Pâques 1967, au «Cheval de Brique», il peint une série de toiles représentant des fleurs, des fleurs plus que douteuses mais aux coloris charmants, que vont très vite s'arracher les amateurs japonais : «Fleurs des Rameaux», «Fleurs d'avant Pâques», «Fleurs aux poissons», «Bouquet marin», «Fleurs au Cheval de Brique»… Le 24 mai de cette année 1967, le Grand Prix des Beaux-Arts de la Ville de Paris lui est attribué pour la toile de 1966 intitulée «Pigeon du 25 juillet». En août, il achève une série de dessins pour illustrer le «Voyage dans la Lune» de Cyrano de Bergerac. Il lui reste à en entreprendre les gravures. L’ouvrage sera publié par le Club du Livre en 1971.

Les premiers mois de 1968, Coutaud peint des personnages composés d'oreilles ainsi que des plages aux oreilles : «Oreilles de mer», une toile de 46 x 55 cm, «Plage aux oreilles», une toile de 12 x 22 cm... Durant l’été, il participe au Vingtième Salon des Artistes Honfleurais, un salon dont le président est actuellement Fernand Ledoux, et il assiste à Villerville à la Fête de la mer. Il peint un ensemble d’œuvres sur le thème des mains et des poissons : «Mains et poissons», une toile de 60 x 73 cm, «Les treize mains», une toile de 73 x 60 cm, «Aux cinq poissons», une toile de 60 x 73 cm… En novembre - décembre, il peint des essencerelles et des huiles sur papier : «Dans la nuit», «Filles de la campagne», «Elles étaient deux», «Discussion maritime», «Villageoise de mer», «Le jeune marin pêcheur», «La soeur du pêcheur», «Une jeune honfleuraise», «Proche de la Manche»…

Le 30 décembre 1968, il se rend à l’Ile de Jersey. Il en conservera le souvenir des cygnes blancs qui lui inspireront dans les semaines et les mois qui vont suivre de nombreuses peintures et quelques gravures.

Dès le mois de janvier 1969, on peut découvrir «Souvenir de Jersey», une toile de 43,5 x 55 cm, «Un cygne à Jersey», une toile de 32 x 38 cm, «A Jersey le cygne et Victor Hugo», une toile de 50 x 61 cm... Le 22 juillet 1969, au «Cheval de Brique», il achève de peindre «Deux des leurs étaient là, en souvenir d'une dépoétisation de la lune», une toile de 65 x 92 cm. Deux jours auparavant, le 20 juillet, deux hommes, Neil Armstrong et Edwin Aldrin, marchaient pour la première fois sur la Lune. D’autres compositions sont inspirées des mains baladeuses des mois précédents ou intègrent des cygnes et des poissons aux corps des personnages. Sa toile la plus importante de cet été, «Les Faubourgs célestes», une toile de 73 x 100 cm, associe ainsi intimement personnages, cygnes et poissons sur fond de cabines de plage. Des cygnes se substituent aux têtes, les poissons s'incorporent aux poitrines, un cygne encore se substitue à un sexe masculin... Les cabines de plage ont par leurs toits à présent pointus quelque chose de phallique et elles sont le prétexte à tout un travail sur le chromatisme. On retrouve les trois balles d'un certain mois de juillet. Mais au delà de l'érotisme agressif de la composition, c'est tout le matériel laissé à l'interprétation psychanalytique qui nous interpelle avant que l'on ne se demande si pour le moment l'artiste ne jouerait pas plutôt avec les symboles. Il est cependant plus plausible que ce dernier laisse librement se matérialiser ses phantasmes.

L’été 1970, Coutaud peint encore de nombreuses compositions. Ses sources d'inspiration évoluent et aux côtés des cabines aux toits pointus, au chromatisme violent, on remarque des buissons marins, des roches, des maisons et des monuments faits de corps accumulés. Le cèdre, les taureaux, les poissons ne sont cependant pas oubliés et ils viennent ici ou là, sans que l'on s'y attende, répondre aux désirs de l'artiste. Il peint également une nouvelle version de «La plage du Cheval de Brique» en une toile de 73 x 92 cm.
Charmante honfleuraise, huile sur toile, 73 x 100 cm, 1972. Fonds Coutaud. En mai 1971, il commence à travailler au «Cheval de Brique» aux décors et costumes du «Socrate» d’Erik Satie mis en scène par Louis Ducreux à l’Opéra de Marseille. Ce sera en janvier 1972, la véritable création de ce drame symphonique. Erik Satie est, peut-être faut-il le rappeler, un honfleurais célèbre. Au «Cheval de Brique» durant l’été 71, Coutaud peint notamment «Dernières demeures», une toile de 130 x 97 cm, «Jour de fête», une toile de 73 x 100 cm montrant de grandes dames debout, simplement habillées de leurs cabines de plage largement ouvertes sur leur anatomie, «Elles cherchent le crépuscule», une toile de 65 x 100 cm plus énigmatique que toute autre. Cette toile nous montre un coucher de soleil sur l'Océan, face au «Cheval de Brique». Sur la plage déjà obscurcie, des femmes parées, aux sexes et aux seins dévoilés (on remarquera comme souvent la précision maniaque du découpage des vêtements), paraissent se mouvoir comme le balancier d'une horloge qui rythmerait les heures qui leur restent à vivre. On sera subjugué par des violets superbes et la beauté du coucher du soleil avec ses couleurs jaune-orangés envahies par la nuit tombante. D’autres peintures pourraient encore retenir notre attention : «La Normandie pittoresque», «Autre Normandie pittoresque», «Trois études de nus», «Sans titre», ce qui en est vraiment le titre...

Au Salon de Mai de 1972, il présente une grande toile de 130 x 97 cm datée de cette année et intitulée : «Où vont-elles ?». Dans un paysage de fin de jour, une jeune femme au regard absent court pour prendre son envol. D'autres de ses compagnes volent dans les airs. Trois pieds coupés sur le sol évoquent de curieuses mutilations. Envol de sorcières, suites incertaines d'une étrange cérémonie, toutes les hypothèses sont permises. L’été 1972, les œuvres peintes sont d’un érotisme de plus en plus provoquant. «Elles savaient», en particulier, une toile de 73 x 92 cm, évoque trois couples de lesbiennes dont l'une serait en fait hermaphrodite. Ce personnage hermaphrodite, un personnage portant les attributs sexuels externes des deux sexes, on le verra de plus en plus dans les compositions de l'artiste à partir de cette année. «Charmante honfleuraise», une toile de 73 x 100 cm, suscite notre interrogation. Elle est d’une curieuse beauté et nous fait songer au célèbre peintre honfleurais Eugène Boudin. Il renoue également avec le thème des femmes-fleurs. A croire que Coutaud se mettrait à présent à plagier Coutaud... Ce n’est pas triste. Le 7 septembre encore, avant son retour à Paris, il exécute une toile de 73 x 60 cm intitulée «Elle l'étrangle». Le 5 octobre dans la matinée, il apprend le décès de sa mère à Nîmes. Il en est terriblement affecté. On connaissait les liens étroits qui les unissaient tous deux en une véritable relation passionnelle. Son œuvre en sera marquée à jamais.

Au début de l’année 1973, il peint plusieurs compositions marines dans lesquelles il fait figurer une montre ancienne au verre bombé en forme d'oignon, la montre de son père, à demi-enfouie ou à demi-enfoncée dans le sol près de quelques personnages féminins : «La montre de toujours», «Une heure pas comme les autres», «En souvenir de tous les 3 février»... L'heure affichée ne relève pas du hasard et l'on peut en cherchant bien en retrouver la signification événementielle. En avril, au cours des vacances de Pâques, il peint sa première toile sur le thème des «Dormeuses marines». Cette toile, portant précisément ce titre, de 54 x 73 cm, représente des baigneuses allongées sur des lits étranges posés sur la plage. Elles sont au nombre de trois et on peut remarquer une fois encore, à demi-enfonçée dans le sable, la montre du père. D’autres toiles sur ce thème lui feront suite : «Le repos marin», une toile peinte également en avril, «1er mai», «Un treize mai» (qui est une toile ovale), «Autre repos marin», peintes en mai. Le 31 mai encore, jour de l'Ascension, il entreprend une toile de 81 x 100 cm intitulée «Pentecôte sans corridas». Pour la première fois depuis bien longtemps, Coutaud ne s’était pas rendu à Nîmes pour la Feria. C’est bien pour lui la fin de toute une époque. En juillet, on le revoit au «Cheval de Brique» pour l'été. Il y retrouve son atelier marin dont les murs sont encombrés d’affiches et de documents : «La Source» de Lucas Cranach, «Jupiter et Sémélé» de Gustave Moreau, une photographie du Baphomet, des photographies de nus féminins, les affiches de ses expositions... Le 15 juillet, il achève de peindre «Taureaumachie dominicale», une toile de 81 x 100 cm d'un érotisme violent. Une femme aux cuisses écartées, à la vulve béante, constitue le corps latéral du taureau et les dominantes rouge de la composition évoquent le sacrifice qui va suivre. Le 23 juillet, il achève de peindre une toile de 65 x 92 cm représentant des estivantes, une toile intitulée «Villégiature». Le 28 juillet, il se rend au vernissage du Vingt-cinquième Salon des Artistes Honfleurais. Le 31 juillet, il peint une toile de 65 x 92 cm intitulée «La nuit ne tardera pas». Le 10 août, il achève de peindre «Elles vont sortir», une toile de 100 x 81 cm. Deux personnages féminins s’apprêtent à quitter un intérieur donnant sur la mer, délaissant un siège anthropomorphe recouvert d’un tissu rouge auquel s’intégraient des organes génitaux externes masculins confondus dans le même rouge. Le 24 août, il achève un «Intérieur Villervillais», une toile de 81 x 100 cm. Les personnages, comme souvent à présent, déclinent sur leurs épaules et parfois sur leurs vêtements la forme du croissant de lune, un peu comme des ailes incertaines. L'influence du «Voyage dans la Lune» de Cyrano de Bergerac, le croissant de lune des armoiries d'Aubusson, les analogies avec le sens vulgaire du mot lune, la séduction qu'a sur Coutaud l'astre de la nuit, tout peut être évoqué. Le 1er septembre, il peint une toile de 46 x 55 cm intitulée «Il venait les saluer». Le 4 septembre, il reçoit à déjeuner le curé de Villerville. Le 6 septembre, il peint sa dernière toile de l'été, une toile de 55 x 46 cm intitulée «Fin d'été»... Le 31 octobre, il se rend au «Cheval de Brique» pour les vacances de la Toussaint.

Le 6 février 1974, le cèdre du «Cheval de Brique», qu'il avait peint tant et tant de fois depuis 1958, est abattu par une tempête. Cette triste nouvelle, il l'apprend par une lettre de son employée de maison à Villerville. «Par la tempête Fin du cèdre que j'aimais tant, j'espère qu'il n'a pas souffert». Le 18 février, il se rend au «Cheval de Brique» voir la dépouille du cèdre. Cette mort du cèdre, superstitieux comme il l'était, il en avait eu le pressentiment lorsque, début 1970, les corneilles qui l'habitaient l'avaient déserté. «Tu vois», dira-t-il à son élève Daniel Garaud, «lorsque les corneilles sont parties, je te l'avais bien dit, elles avaient senti que le cèdre allait mourir». Le cèdre gisant sur le sol, Coutaud le photographie. Il deviendra le sujet de plusieurs gouaches : «La mort du cèdre», une gouache dont nous ignorons les dimensions, «C'était un ami», une gouache de 32 x 49,5 cm qui nous montre bien le caractère anthropomorphe de l'arbre disparu. C'est pour le peintre un peu comme la mort d'un être humain, la mort d'un être cher.

En mai 1974, la revue Galerie - Jardin des Arts publie un intéressant entretien de Lucien Coutaud avec André Parinaud : «[...] Mes personnages se sont engendrés les uns les autres. Je suis passé d'une certaine forme à une autre. Pourquoi ? Je n'en sais rien. [...] L'oeil cruel qui vous regarde dans mes tableaux, c'est sans doute une libération pour moi. Je crois que ma vraie nature s'exprime par la peinture. Une nature que je ne connais peut-être même pas. [...] Très souvent mes corps sont scindés en plusieurs parties. C'est une idée de la mise en cause du corps, qui cherche à la détruire, à la corroder, à la ronger, à l'agresser, à la transpercer, peut-être pour trouver un corps nouveau qui me plairait beaucoup plus. [...] J'aime peu le visage. Je préfère les visages sans bouche, sans oreilles, sans yeux, des masques. Très souvent le corps lui-même s'effiloche, on dirait que le vent l'emporte, qu'il s'en va par morceaux. Il y a une espèce de volonté de détruire, de scinder un corps (récemment j'ai peint des corps sans bras), ou de sectionner les membres, de les regarder se promener comme s'ils étaient en apesanteur. [....] Une chose vous conduit à l'autre, une sorte de ballet de l'imaginaire, un grand ballet. Je suis réfugié dans mon rêve. Je me réfugie dans ma peinture, dans mes dessins, dans mes gravures : c'est un excellent refuge, c'est une très bonne caverne. On peut respirer tout de même, mais on est à l'abri de la pluie, du froid, de la vie. Mais j'y participe quand même, bien entendu. J'aime beaucoup la pluie. [...] Quand je travaille, je vois l'eau tomber sur la mer. L'eau du ciel lave tout. Il ne reste que l'érotisme, le rêve, la mort, tout ce qui me tente».

Pentecôte sans corrida, huile sur toile, 81 x 100 cm, 1973. Collection particulière. L’été 1974, au «Cheval de Brique», il abandonne temporairement la peinture à l’huile, se limitant à quelques travaux à la gouache. Ses troubles de la vue, liés à une cataracte oculaire bilatérale, l'handicapent de plus en plus. Il n'a plus la même précision du trait que par le passé. Par moments tout devient flou et seules des formes peuvent encore se créer sous ses pinceaux. La couleur, par contre, il la maîtrise toujours de façon remarquable, surtout les rapports des couleurs entre elles, ce qui explique la beauté étrange des gouaches réalisées. L’une d’elles, de 64,5 x 49,5 cm, titrée «Elles pouvaient voler», marquera la transition finale du croissant de lune adornant les épaules de ses personnages en ailes d’oiseaux ou, ce qui est plus certain, en ailes angéliques. En septembre, il bénéficie d’une opération de la cataracte.

L’été 1975, au «Cheval de Brique», il réalise de nouvelles peintures à l’huile : «Juillet», «Réunion champêtre», «Un 15 août», «Belle journée d'août», une toile de 73 x 92 cm à la limite de la pornographie, «Elles arrivent en septembre», «Où vont-elles ?», une toile de 46 x 55 cm, «La nuit arrive», une toile de 16 x 22 cm.

En 1976, sa vie de tous les jours ne change guère, ses amitiés non plus à ce que nous savons. Mais nous manquons d'informations. Son agenda personnel pour cette nouvelle année a mystérieusement disparu, on ne sait pour quelles raisons. On peut penser qu'il revoit souvent Paul Duchein, Daniel Garaud qu'il considère comme son élève, Jean et Simone Dumontet, Antoinette Gouin, Marie-Hélène Bouillard, les marchands de tableaux et d'estampes qui s'intéressent à son oeuvre. On peut penser qu'il se rend toujours régulièrement au «Cheval de Brique», notamment aux diverses périodes de fêtes de l'année et durant l'été. L'artiste est cependant de plus en plus marqué par la maladie. Le diabète dont il est atteint depuis la fin de 1939 évolue. Sa vue lui pose de plus en plus de problèmes et il est affecté d'un tremblement qui l'handicape notablement pour peindre. Ses peintures sur toiles et ses gouaches s'en ressentent. Il dessine souvent maladroitement, déforme involontairement ses personnages et l'inspiration lui manque. Seuls, le travail de la couleur, la révélation de formes à partir de taches posées sur la toile ou le papier, transfigurent encore ses dernières oeuvres. Il n'est pas impossible d'ailleurs qu'il présente des troubles de la vision des couleurs, cela se voit dans les rétinopathies diabétiques évoluées, mais si tel est le cas, ces troubles n'empêchent pas la création d'un univers coloré séduisant, étrange, attirant, un univers où de toute façon les couleurs ont depuis toujours été fausses.

Du 14 au 20 mars 1977, il se rend, pour la dernière fois sans le savoir, au «Cheval de Brique». Le 25 mars, on le voit à l’atelier Rigal travailler aux tirages de sa dernière eau-forte, «C'était un douze mai», une eau-forte destinée aux membres de la Société des Peintres Graveurs Français.

Le 21 juin 1977, au premier jour de l'été, Coutaud décède à Paris, allant rejoindre le monde de ses personnages....

En janvier 1982, le «Cheval de Brique» s'effondra par un glissement de terrain vers la mer... Ainsi disparaissait le «Cheval de Brique», ce lieu qu'il avait peint tant et tant de fois, comme si après sa mort celui-ci ne devait pas lui survivre. Bien plus, cette disparition du «Cheval de Brique», on peut s'en apercevoir en revoyant ses oeuvres, il l'avait peinte de façon prémonitoire à de nombreuses reprises...

Jean Binder